Les Marocains ont finalement eu raison de se réjouir de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Les derniers événements, notamment la mise en accusation d’un dirigeant du PJD, Abdelali Hamieddine, pour «complicité de meurtre», et le comportement de son parti envers la justice, viennent leur donner raison, écrit le quotidien Al Akhbar dans une longue analyse consacrée à ce sujet dans son édition du lundi 17 décembre. Les Marocains avaient, en effet, raison de craindre que la justice ne soit utilisée pour régler des comptes politiques ou que l’on tente de l’influencer pour changer l’issue des affaires en cours.
Il aura ainsi suffi, ajoute le journal, qu’un dirigeant du parti islamiste au pouvoir soit inculpé par le juge pour que le ministre d’Etat chargé des droits de l’Homme s'attaque ouvertement à la justice et remette en question son indépendance. Bien plus, avant même cette décision de poursuivre Hamieddine sur la base des articles 128, 392, 393, 394 et 395, ce même ministre avait assisté, avec d’autres ministres appartenant au PJD, à une conférence de presse organisée par Hamieddine, alors que l’affaire n’en était encore qu’au stade d’instruction. Ce qui fait dire au journal que le PJD, usant de sa position de parti au pouvoir, avait tenté d’influencer une affaire en cours devant la justice.
Le peu de cas que fait le parti de l’indépendance de la justice s'est précisé au fil des interventions de ses élus au Parlement, poursuit Al Akhbar. D'ailleurs, ce parti s’était opposé, dès le début, à l'émancipation du Parquet de l’emprise et de la tutelle du ministre de la Justice, rappelle Al Akhbar. Plus encore, souligne le journal, des dirigeants du parti islamiste ont, à diverses occasions, fait montre de leur dénigrement de la justice, en refusant d’exécuter une décision judiciaire ou de comparaître devant le juge dans le cadre d’un affaire en cours.
En plus, le groupe parlementaire du PJD use, lui aussi, de sa position à l’Hémicycle pour évoquer des affaires toujours en cours devant la justice. C’est ainsi que, sur quelque 40.000 individus en détention provisoire, Abdelali Hamieddine, conseiller à la deuxième Chambre, a particulièrement insisté sur le cas de Taoufiq Bouachrine, condamné à 12 ans de prison pour traite d'êtres humains et agressions sexuelles, lors d’une réunion de la commission de la justice et de la législation consacrée au débat du budget sectoriel du département de la Justice, et ce en profitant de la présence du ministre Mohammed Aujjar.
Son épouse, Bouthaina Karrouri, députée à la première Chambre, ne manque pas non plus une occasion de soulever le cas de cet «ami» du couple, que ce soit en séance plénière ou lors des débats en commission, précise le journal. C’est le cas également du président du groupe parlementaire du parti islamiste à la Chambre des représentants qui a profité, il y a quelques jours, d’une séance de questions orales pour interpeller le ministre de la Justice sur le cas de Hamieddine, évoquant à la fois des pans du droit pénal marocain et des extraits du pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Par ailleurs, les prémices du «retournement» du PJD contre l’indépendance de la justice étaient perceptibles bien avant cet incident, note le journal. C’est ainsi que le parti islamiste et une partie de l’opposition ont fait cause commune de leur désir de faire comparaître le président du Parquet général et le président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire devant la commission de la Justice, pour présenter le bilan et le budget du Conseil en lieu et place du ministre de la Justice. Ils ont même menacé de ne pas voter ce budget si les deux responsables ne se présentaient pas devant la commission pour le défendre. Bien sûr, rien de cela n'a eu lieu: ce débat est clos et la Cour constitutionnelle a dit son mot là-dessus.
En outre, rappelle le journal, les députés du PJD s’étaient catégoriquement opposés à l’indépendance du Parquet général du ministère de la Justice lors de l’examen du projet de loi organique relatif au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire. Ils avaient même présenté un amendement de l’article 51 de ce projet pour donner des pouvoirs étendus au ministre de la Justice et contrôler l’action du ministère public. Ce que l’opposition avait alors considéré comme une tentative de porter atteinte à l’indépendance de la Justice. Naturellement, l’amendement n’est pas passé et la majorité a voté un amendement contraire présenté, au nom du gouvernement, par Mustapha Ramid, alors ministre de la justice.