Solides, durables et marquées par une fraternité sincère et à toute épreuve, les relations entre le Maroc et les Émirats arabes unis marquent un cap inédit. Deux pays, quand bien même proches, auront rarement lié leurs destins de la sorte. Prendre un peu de recul par rapport à la visite officielle effectuée ces 4 et 5 décembre par le roi Mohammed VI à Abou Dhabi, sur invitation du président émirati Mohammed Ben Zayed Al Nahyane, c’est prendre la mesure d’une alliance qui changera le visage tant du Maroc que des Émirats arabes unis. Séparés par une longue distance, les deux pays s’apprêtent à apporter la preuve que les intérêts géostratégiques priment sur la proximité géographique. Et c’est loin d’être un simple vœu pieux ou encore un de ces slogans dont certains dirigeants arabes aiment à se gargariser.
On passera sur l’accueil grandiose offert au Souverain. Jamais les Émirats n’avaient accueilli un chef d’État de cette manière. Les images parlent d’elles-mêmes.
Comme on repassera sur les mots, empreints de cette poésie et cette authenticité bien arabes, réservés par Mohammed Ben Zayed Al Nahyane à Mohammed VI, «un roi frère» qui est le bienvenu «dans son pays et parmi les siens».
Pour ne garder que le contenu, dense, précis et aux délais d’exécution bien déterminés dans le temps, de la Déclaration «Vers un partenariat novateur, renouvelé et enraciné entre le Royaume du Maroc et l’État des Émirats arabes unis», signée des mains des deux chefs d’État. Une première à la valeur à la fois symbolique et pragmatique. «Cet acte unique et singulier est en soi un signal fort. Il témoigne de l’engagement personnel des deux chefs d’État pour la pleine réussite de cette nouvelle et majeure étape», souligne l’économiste Mehdi El Fakir. Une manière de dire que ce sont les hommes qui écrivent l’Histoire et, en l’espèce, les deux chefs d’État savent ce qu’ils inscrivent: un avenir radieux. Pour leurs deux pays, et pour toute la région, porté par deux leaders dotés d’une ambitieuse vision, d’une sereine énergie pour la traduire en faits et d’un caractère affirmé qui, aux belles paroles, préfère les grandes actions. Chez Mohammed Ben Zayed Al Nahyane comme chez Mohammed VI, on dit ce qu’on fait et on fait ce qu’on dit.
«Les deux pays disposent également de deux stratégies d’avenir complémentaires. Le Maroc, à travers son nouveau Modèle de développement à l’horizon 2035, entend notamment doubler son PIB. Les Émirats, eux, ont une Vision 2031 et ambitionnent d’être dans le top 10 mondial dans nombre de secteurs, notamment en matière d’investissements à l’étranger», explique l’économiste Mohammed Jadri. En la matière, à lui seul, le véhicule d’investissement Abu Dhabi Investment Authority (ADIA) gère en 2023 près de 853 milliards de dollars d’actifs, se positionnant comme le 4ème plus grand fonds souverain au monde.
«Money is not an issue»
Les Émirats arabes unis figurent déjà parmi les principaux investisseurs étrangers au Maroc, et le Royaume fait partie du top 10 des destinations de ce pays du Golfe en la matière. Mais, jusqu’à présent, ce sont des pays comme la Grande-Bretagne, les États-Unis, la France, l’Inde et la Turquie qui se taillaient la part du lion dans les investissements des Émirats.
Cette donne va sans doute être bousculée. «Pays stable, fiable et avec une vision d’avenir, le Maroc présente bien des atouts pour en faire une destination de capitaux émiratis qui peuvent s’avérer décisifs dans une logique gagnant-gagnant», commente Mohammed Jadri. Dans cette déclaration, toutes les opportunités de développement au Maroc et tous les secteurs, ou presque, y passent. Les Émirats ne font en cela que se greffer sur l’ensemble des grands projets et stratégies de développement en cours dans le Royaume, y apportant les financements et le coup d’accélérateur nécessaires. Le temps est au concret. On notera à cet égard, entre autres, l’extension des chemins de fer, en donnant la priorité plus particulièrement à la ligne à grande vitesse Kénitra-Marrakech, le développement des aéroports, dont ceux de Casablanca, Marrakech, Dakhla (Dakhla Hub) et Nador, l’aménagement des ports en investissant dans leur gestion, particulièrement le port Nador West Med.
Le roi Mohammed VI et le président émirati Mohammed Ben Zayed Al Nahyane, le 4 décembre 2023.
S’y ajoutent le transfert et la gestion de l’eau, les énergies renouvelables et la production d’hydrogène vert et ses dérivés, le transport de l’énergie, en particulier la réalisation et l’exploitation des lignes de transport de l’électricité, la sécurité alimentaire, à travers l’exploration des opportunités de partenariat avec le groupe OCP dans le domaine des fertilisants, sans oublier la création et la gestion d’une flotte maritime commerciale, un des piliers de la nouvelle stratégie atlantique du Maroc.
L’économie numérique, l’industrie, l’agriculture et l’agroalimentaire, le domaine financier et des marchés des capitaux, ainsi que le partenariat entre les fonds souverains et d’investissement des deux pays sont également sur la table. Ceci, en plus de projets à caractère social, comme la reconstruction des régions touchées par le séisme d’Al Haouz, ainsi que la qualification d’établissements scolaires, universitaires et de santé.
Le Sahara atlantique, le nouvel Eldorado
L’Afrique n’est jamais loin. Au cœur de cette nouvelle feuille de route, se trouve l’examen des possibilités de coopération dans le développement des infrastructures énergétiques avec les pays africains. À commencer par le projet du gazoduc Afrique-Atlantique, entendez Maroc-Nigeria, qui nécessitera un apport de quelque 25 milliards de dollars.
S’il est une région qui se taille une attention particulière dans ce qui ressemble à un véritable plan Marshall, c’est bien le Sahara. Le tout dans le cadre d’une coopération pragmatique et concrète par le biais de projets structurants. Une coopération économique et d’investissement global et équilibré, ouvert sur le secteur privé. Les Émirats comptent ainsi investir dans le titanesque projet du port Dakhla Atlantique, une composante essentielle du plan de développement des provinces du Sud et un important portail du Maroc sur l’Afrique et le monde, dont la livraison est prévue en 2028, pour une enveloppe budgétaire globale de 12,5 milliards de dirhams.
Est également en vue le développement de projets communs dans les domaines du tourisme et de l’immobilier sur la côte méditerranéenne, mais aussi et surtout dans les régions de Dakhla et de Tarfaya. Ceci, au même titre que l’aménagement et le développement du projet intégré «Dakhla Gateway to Africa», dont le port précité est d’ailleurs le premier jalon. «Après l’appui politique et l’ouverture, notamment, d’un consulat dans les provinces du Sud, il était naturel que l’investissement suive. Cela s’inscrit d’ailleurs dans la logique d’appui au Maroc, à sa souveraineté et à ses ambitions», relève Mehdi El Fakir.
Signés séance tenante, pas moins de 12 mémorandums d’entente sont venus acter ces intentions. D’autres seront examinés et conclus dans un délai qui ne dépassera pas trois mois, à compter de la date de la déclaration. Un mécanisme de mise en œuvre et de suivi des projets programmés sera également mis en place et se réunira de manière régulière, en alternance entre le Maroc et les Émirats arabes unis. Il soumettra ses rapports aux parties compétentes. Autant dire qu’une nouvelle page s’ouvre pour le Maroc et les Émirats arabes unis. Et même bien au-delà.
Les mauvaises langues diront que les Émirats arabes unis marquent là une OPA sur bien des secteurs productifs au Maroc. Rien n’est plus faux. «C’est mal connaître l’histoire des deux pays et leurs relations. Depuis la création des Émirats, le Maroc s’est toujours tenu aux côtés de ce pays. Et l’inverse est vrai. On se souvient que ce sont les Émirats qui ont apporté leur plein appui au Royaume au fort de la crise économique qu’il traversait dans les années 1980. Si la situation a changé depuis, le soutien émirati ne s’est jamais démenti. Là, il prend une nouvelle forme: celle d’un partenariat gagnant-gagnant à tous les niveaux. Dans le monde d’aujourd’hui, nul ne peut prétendre pouvoir marcher seul. Pour les deux pays, c’est un choix géostratégique majeur. Et nous ne pouvons que tous nous en réjouir», conclut Mehdi El Fakir.