Comment Benkirane cherche à torpiller le gouvernement...et revenir en sauveur

Abdelilah Benkirane et Saâd-Eddine El Othmani. 

Abdelilah Benkirane et Saâd-Eddine El Othmani.  . DR

La majorité actuelle passe par une crise politique sans précédent depuis 2017. Une crise née suite à la polémique autour de l'apprentissage des matières scientifiques en langues étrangères. Du pain béni pour Benkirane. Analyse.

Le 09/04/2019 à 13h25

Deux hommes tirent les ficelles de cette controverse, Abdelilah Benkirane, ancien chef du PJD, qui a amplifié la crise après une énième et toniruante sortie, et Saâd Eddine El Othmani, un chef de gouvernement qui semble avoir bien du mal à convaincre ses troupes.

Si on peut accorder à El Othmani des circonstances atténuantes, il paraît plus probable que son prédécesseur court après deux objectifs: faire tomber le gouvernement et redonner au parti islamiste une virginité qu'il a perdue depuis qu'il s'est placé dans une retraite dorée, de l'avis de nombre d'analystes politiques.

"La crispation qu’on ressent au sein du parti islamiste a été causée par la prise de position d’Abdelilah Benkirane qui a pratiquement sommé son successeur à la tête du gouvernement et du PJD, Saâd Eddine El Othmani, de ne pas céder sur le statut de la langue arabe par rapport aux langues étrangères, quitte à démissionner du gouvernement", affirme ainsi le politologue Mustapha Sehimi, interrogé par Le360.

De fait, cette position fragilise davantage une majorité déjà secouée par une série de difficultés depuis deux ans (compétition ouverte pour 2021, retard sur les réformes, peu d'action sur l'emploi, etc.). 

Pour cet analyste, Benkirane «se redonne une visibilité politique de premier plan et met en jeu la stabilité de la majorité actuelle en espérant qu'elle s’écroule».

El Othmani, quant à lui, est dans une «impasse». Le chef de gouvernement a en effet été mis au pied du mur, sachant qu'il a pris part à l'adoption de la loi-cadre, tant au sein du conseil de gouvernement, qu'au sein du conseil des ministres.

C'est d'ailleurs lui qui a envoyé le texte au Parlement pour son adoption définitive. El Othmani est d'autant plus dans l'embarras que l'on sait que c'est lui-même qui a signé le décret appelant à la tenue d'une session extraordinaire du Parlement.

Une session pour rien, sans objet. Le blocage par son groupe parlementaire a, jusqu'ici, tout fait pour que ce projet de loi-cadre tombe à l'eau.

De l'avis de plusieurs politologues, cette crise pourrait bien conduire à l’éclatement de la coalition formant l'actuelle majorité. 

Et s'il ne parvient pas dans les prochains jours à faire voter le texte par ses députés, Saâd Eddine El Othmani devra demander un vote de confiance sur ce texte, comme le prévoit l’article 103 de la Constitution, un vote que propose d’ailleurs le parti de l’Istiqlal, aujourd'hui dans l'opposition.

A cet égard, Mustapha Sehimi rappelle que «le refus du vote de confiance entraîne la démission collective du gouvernement».

Au sein des partis formant la majorité, on indique que Benkirane rêve de faire tomber ce gouvernement pour se venger, après avoir été mis à la retraite.

Au sein d'un PJD aujourd'hui plus que jamais divisé, «ses troupes sont en train de gagner du terrain face à celles d'El Othmani», un homme qui n'a de cesse rappeler que les interventions intempestives de l'ancien numéro Un du parti embarrasse aussi bien le parti dont il est aujourd'hui le secrétaire général que la majorité formant la coalition gouvernementale. 

Pour le politologue Omar Cherkaoui, «Benkirane est en train de chercher à gagner un combat identitaire et social. Il veut se refaire une virginité en stigmatisant ce qu’il appelle des lobbies qui veulent du mal au pays comme cela a été le cas lors du débat sur le Code de la famille».

Pour Omar Cherkaoui, «le PJD s'installe dès maintenant dans une logique d’élections anticipées».

Il pense qu'El Othmani, si la crise persiste, doit sortir de «l'absurdité» en soumettant au vote «la responsabilité et la confiance du gouvernement».

«Il est illogique que la majorité fasse venir un texte de loi au Parlement et ne puisse pas le faire adopter», a-t-il conclu.

Par Mohamed Chakir Alaoui
Le 09/04/2019 à 13h25