La loi-cadre sur l’enseignement continue de diviser la majorité tant au niveau du gouvernement qu’au niveau du Parlement. La tension a même décuplé à la Chambre des représentants après le revirement du PJD sur le compromis trouvé par les groupes parlementaires. Le parti du chef du gouvernement a fait un «coup d’Etat» en refusant de valider l’article 2 relatif à l’alternance linguistique et l’article 31 qui recommande l’enseignement des matières scientifiques en une langue étrangère. Mais les autres partis de la majorité et ceux de l’opposition n’ont pas fléchi et ont maintenu leur position en faveur du compromis. Du coup, ce blocage du groupe islamiste a obligé tout ce petit monde à reporter, pour la troisième fois, la réunion de la commission de l’enseignement et de la communication qui devait voter cette loi. La réunion de mercredi dernier s’est terminée en queue de poisson après une séance très houleuse où le PJD s'est retrouvé esseulé face à toutes les composantes de ladite commission. Toute la presse nationale a rapporté, dans ses éditions de ce vendredi, les péripéties de ce bras de fer entre les députés du parti qui dirige le gouvernement et ses pairs de la majorité et de l’opposition. Les titres des journaux mettent l’accent sur la forte division au sein de la majorité et la position fléchissante de Saâd-Eddine El Othmani, voire la probabilité de la chute du gouvernement.
Dans son édition du vendredi 5 avril, la quotidien Al Akhbar titre: «Le gouvernement menacé de chute par le blocage au Parlement». Le journal souligne que le revirement des parlementaires du PJD survient après la sortie tonitruante de Benkirane qui leur a demandé de s’insurger contre cette loi. Ces derniers, très mal à l’aise, ont essayé de justifier leur volte-face en se référant à la vision stratégique 2015/2030 et aux recommandations du Conseil supérieur de l’Education et de la formation.
La réplique du ministre de l’Education, Saïd Amzazi, n’a pas tardé puisqu'il a accusé le PJD d’avoir renié le compromis que son groupe avait accepté en présence de ses pairs et du président de la Chambre des représentants. Il leur a rappelé que le Conseil supérieur de l’Education et de la formation n’avait qu’un rôle consultatif et que la vision 2015/2030 avait, bel et bien, recommandé le renforcement de l’enseignement des langues étrangères. Et le ministre d'ajouter, en s’adressant aux députés du PJD: «C’est le gouvernement dirigé par votre chef de parti qui a rédigé cette loi et l’a soumise au Parlement». Et Amzazi de marteler des chiffres qui font froid au dos: «Parmi les étudiants qui ont obtenu leur bac en sciences, 30% ne suivent pas leurs études à la fac des sciences à cause de la langue d’enseignement, 22% quittent la fac juste après leurs inscription et 45% quittent la fac sans obtenir leur diplôme».
Le quotidien Al Massae, qui traite le même sujet dans son édition du vendredi 5 avril, rapporte la proposition du parti de l’Istiqlal qui demande le recours à l’article 103: «Le Chef du Gouvernement peut engager la responsabilité du gouvernement devant la Chambre des Représentants, sur une déclaration de politique générale ou sur le vote d'un texte. La confiance ne peut être refusée ou le texte rejeté qu'à la majorité absolue des membres composant la Chambre des Représentants. Le vote ne peut intervenir que trois jours francs après que la question de confiance a été posée. Le refus de confiance entraîne la démission collective du gouvernement».
Le ministre Mustapha Ramid réagit à cette proposition en expliquant que l’article 103 n’a pas de raison d’être évoqué dans ce cas précis. Et pour cause, a-t-il ajouté, il ne peut être appliqué que si le texte est menacé d’être rejeté. Ce qui n’est pas le cas puisque tout le monde veut voter la loi cadre qui bute sur un seul article. Le député de l’opposition, Abdellatif Ouahbi ( PAM), a été plus offensif: « je suis d’accord pour l’application de l’article 103, mais le chef du gouvernement ne fait pas partie de ceux qui ont le courage de prendre cette décision. Tout comme les membres du gouvernement n’oseront jamais soutenir l’opposition pour engager la responsabilité du gouvernement. Il reste donc une seule solution: le recours au roi qui dispose de tous les pouvoirs pour sauver la majorité de ses contradictions en mettant fin aux fonctions du gouvernement».
De son côté le quotidien Al Ahdath Al Maghribia rapporte, dans son édition de ce vendredi 5 avril, que la réunion des présidents de groupes parlementaires avec le président de la Chambre des représentants n’a pas pu désamorcer cette crise. Les députés de l’opposition craignent que les divergences qui minent la majorité soient étendues au Parlement qui risque d’être de plus en plus divisé. Ils estiment que Saâd-Eddine El Othmani se trouve pris entre deux feux, celui de son parti et celui de la majorité gouvernementale. Les députés de son parti refusent de voter pour le compromis sur la loi-cadre de l’enseignement, que leur groupe avait pourtant approuvé. Les partis de la majorité maintiennent leur position en faveur du compromis qui, disent-ils, a été approuvé au sein de la Chambre des représentants. Pour eux, il n’est pas question de procéder à une quelconque révision du texte, aussi partielle soit-elle.
Pour sa part, le quotidien Assabah rapporte, dans son édition du vendredi 5 avril, que les parlementaires ont critiqué vivement les orientations «idéologique et politique» du PJD. Ses dirigeants et ses députés, ajoutent les contestataires, parlent le français qu’ils ont étudié dans les écoles et font enseigner à leurs enfants les matières scientifiques dans les missions étrangères et les écoles privées. Par contre, précise le représentant de la Fédération de la gauche démocratique Omar Balafrej, ils privent les enfants des pauvres de l'apprentissage de langues étrangères dans les écoles publiques. Et le même député d’accuser le PJD «d’enterrer l’enseignement public, d'empêcher les enfants du peuple d’apprendre les sciences et les techniques en langues étrangères, ce qui leur permettrait d’accéder au marché du travail. Mais les islamistes ne veulent pas que les enfants des pauvres concurrencent leurs enfants qui parlent les langues étrangères grâce aux écoles privées gérées par leurs parents».
Le bouillonnant député Abdellatif Ouahbi du PAM a fait dans la dérision en demandant au chef du gouvernement, Saâd-Eddine El Othmani, d’aller chercher la confiance chez Abdelilah Benkirane. Et d’ajouter, non sans une pointe d’humour, que toutes les institutions du Maroc doivent se déplacer au quartier des orangers (NDLR où se trouve la résidence de Benkirane) pour avoir sa bénédiction.