Broadway diplomatique

Mouna Hachim.

ChroniqueAbbas interdit de scène, Erdoğan assigné à l’arrêt, Macron en marche forcée… Petits détails logistiques, grandes scènes diplomatiques.

Le 27/09/2025 à 11h00

On dit que tous les États sont égaux à l’ONU mais certains sont manifestement plus égaux que d’autres. Entre visas refusés, cortèges bloqués, présidents immobilisés, la grand-messe diplomatique a offert son lot de situations ubuesques.

Récapitulons.

Mahmoud Abbas s’est vu opposer une interdiction de séjour par Washington. Près de quatre-vingts Palestiniens étaient eux aussi attendus au sommet annuel, où plusieurs pays s’apprêtaient à reconnaître officiellement un État palestinien.

Dès le 29 août, le département d’État avait planté le décor. Pas de visas pour les membres de l’OLP et de l’Autorité palestinienne: question de “sécurité nationale”.

Paris, Londres et consorts ont tenté de fléchir Washington. Peine perdue. L’Assemblée générale a bricolé une résolution spéciale, offrant à Abbas l’insigne privilège de s’exprimer… en différé, par visioconférence.

Hors de l’épisode sanitaire du Covid, c’est un précédent qui en dit long sur l’absurdité du moment. Heureusement, les membres de l’ONU savent encore manier l’art du contournement, fût-il symbolique.

À la dimension institutionnelle est venue s’ajouter la théâtralité du quotidien. Comme pour rappeler que tout le monde, ou presque, fut logé à la même enseigne et que l’égalité onusienne existe… au moins dans l’embarras.

Lors de son passage, le cortège de Donald Trump, par sa taille et par les mesures sécuritaires qui l’accompagnent, a contribué à la paralysie de certaines artères et a ramené quelques diplomates au rang de simples navetteurs new-yorkais.

Rappelons-le: pour les services secrets américains, une règle d’or prévaut: la sécurité du locataire de la Maison-Blanche avant tout. America First, transposé jusqu’aux artères congestionnées de Manhattan!

Parmi les «usagers» immobilisés figuraient quelques chefs d’État en bonne et due forme. On rapporte, sans certitude aucune, que même le président sud-coréen Lee Jae-myung aurait patienté stoïquement sur le pavé, tel un sage en méditation urbaine.

Ce qui reste, en revanche, attesté par des images d’une viralité éloquente: Recep Tayyip Erdoğan, chef d’un État du G20, membre de l’OTAN, réduit — sacrilège suprême! — à un banal piéton.

Sur un trottoir new-yorkais, il piétine, l’air sombre, plus tempête intérieure que recueillement contemplatif, contraint de prendre son mal en patience devant le défilé motorisé de Trump.

Mais c’est sans aucun doute à Emmanuel Macron que revient la palme de la scène la plus cocasse.

À peine son discours à l’ONU terminé, le chef de l’État se retrouve coincé avec son convoi derrière une barrière new-yorkaise, ravalé soudain au rang de passant anonyme.

— «Je suis désolé, Monsieur le président, tout est bloqué actuellement», s’excuse un policier. Plutôt que de s’agacer, Macron choisit l’humour et en profite pour passer un coup de fil à l’intéressé, «fauteur de troubles» autant que président des États-Unis:— «Devine quoi, j’attends dans la rue car tout est bloqué pour toi

Qu’à cela ne tienne! Il aura fallu à Macron trente minutes d’une marche, transformée en attraction touristique au gré des selfies new-yorkais. Président en marche… au sens littéral des mots.

Derrière la cocasserie se cache une vérité plus grinçante: à New York, même les chefs d’État étrangers dépendent des barrières dressées par Washington. Ces épisodes disent moins l’anecdote que l’asymétrie d’un multilatéralisme grippé. Des bas-côtés de Manhattan aux couloirs onusiens, la logique est la même: le pays hôte tient la baguette, décidant qui avance, qui piétine, qui reste bloqué aux portes de la tribune.

Cette réalité est structurelle: l’ONU a son siège à New York depuis 1945. Une implantation hautement symbolique, puisqu’elle consacrait la victoire alliée tout en ancrant l’organisation dans la puissance montante du XXᵉ siècle.

Mais ce choix a un prix. Accueillir l’ONU confère aux États-Unis un pouvoir que nul autre État ne possède: délivrer les visas, verrouiller les cortèges, contrôler les rues. Un privilège immense, que Washington transforme volontiers en instrument politique.

C’est là que le décor change: place aux coulisses juridiques, avec le Host Country Agreement de 1947, censé garantir à toutes les délégations un accès libre au siège.

En théorie, Washington ne peut refuser un visa pour des raisons politiques. En pratique, la frontière entre sécurité et diplomatie est aussi poreuse que les barrières érigées sur la 5ᵉ Avenue.

Le cas Abbas l’a montré: plus qu’un contretemps administratif, c’est un verrou politique. En refusant son accès à la tribune, Washington n’a pas seulement bloqué un visa: il a rejoué la vieille partition du pays hôte qui transforme un droit universel en faveur discrétionnaire.

C’est ainsi qu’à force de blocages répétés, une vieille proposition refait surface: déplacer le siège de l’ONU. Genève, Vienne, Nairobi… peu importe, pourvu que ce soit un pays neutre, plus petit, moins hégémonique, capable de garantir une égalité réelle entre délégations.

L’idée n’est pas neuve. On se souvient que, lors de l’Assemblée générale de 2009, Mouammar Kadhafi avait voulu planter sa tente bédouine à New York — un temps envisagée à Central Park, avant d’être finalement dressée puis démontée dans la banlieue de la ville. Manière de rappeler que les logiques de campement pouvaient valoir autant que les palaces, dans une sorte de happening dadaïste à ciel ouvert.

Mais aussitôt posée, la question se heurte à une évidence: New York, c’est plus qu’une adresse, c’est une vitrine. Les embouteillages diplomatiques se payent au prix fort, mais en échange les chefs d’État profitent du tapis rouge permanent d’une métropole-monde. L’Amérique reste un pôle d’attraction incomparable: un décor prêt-à-jouer, où le prestige de Manhattan agit toujours comme un aimant.

Un déménagement? Colossal: tout un décor à démonter, des délégations à reloger, un écosystème entier à réinventer. Et surtout, au-delà des cartons et des murs, c’est un équilibre diplomatique qu’aucun acteur n’a vraiment intérêt à bousculer.

Reste que l’idée garde une force symbolique: rappeler que la coopération internationale ne devrait pas dépendre de l’un de ses propres joueurs. Et quel joueur ! Arbitre, organisateur et souvent, vedette incontournable.

Sur scène, pourtant, le registre change: à la tribune, le président américain endosse l’habit de l’universalité lyrique.«Que vous veniez du Nord ou du Sud, de l’Est ou de l’Ouest, de près ou de loin, chaque dirigeant présent dans cette salle représente une culture riche, une histoire noble et un patrimoine fier qui rendent chaque nation majestueuse et unique

Ceci étant dit, à peine l’exaltation retombée, vient le temps de l’indignation. Donald Trump s’est empressé, sur son réseau Truth Social, de dénoncer ce qu’il a qualifié de «HONTE».

«Pas un, pas deux, mais trois événements malveillants!» Une panne d’escalator, un micro récalcitrant, un prompteur capricieux. De quoi exiger, le plus sérieusement du monde, que l’ONU ouvre une enquête pour «triple sabotage».

Broadway n’aurait pas osé produire mieux!

Par Mouna Hachim
Le 27/09/2025 à 11h00