Dimanche 14 juin 2015, l’un des terroristes les plus recherchés au monde est abattu. La nouvelle fait le tour des rédactions et des réseaux sociaux. «Mokhtar Belmokhtar mort en Libye dans un bombardement ciblé mené par les Forces spéciales américaines». Une figure terrible de l’insurrection jihadiste dans la région sahélo-saharienne s’en va.
Pourtant, plusieurs zones d’ombre planent encore sur les circonstances de la disparition de ce terroriste, son pedigree sanguinaire en tant qu’ancien chef d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et, last but not least, cette question inévitable sur le devenir de la nébuleuse terroriste.Contacté par LE360, Mustapha Rezrazi, enseignant à l’université Sapporo, au Japon, spécialité «Gestion des crises», livre un éclairage édifiant sur les enjeux de la chute de ce leader incontesté de la mouvance terroriste s’activant dans la région sahélo-saharienne, voire la région du Maghreb tout entier. Pour commencer, une précision fondamentale est apportée par l’éminent universitaire marocain.
«L’opération qui a causé la mort de Mokhtar Belmokhtar intervient dans un contexte spécial et particulier, spécial par la nature de l’opération, -un raid mené par un commando US- et particulier par le choix du timing de son exécution, sachant que le raid a été précédé, il y a une semaine, par la relance du mandat d’arrêt émis par Interpol, à l’instigation notamment du Japon, à l’encontre de Mokhtar Belmokhtar, à l’origine de la prise d’otages perpétrée, le 16 janvier 2013, sur le site gazier In Amenas, au sud de l’Algérie, faisant plusieurs dizaines de morts parmi des étrangers, dont dix Japonais», décrypte l’expert Mustapha Razrazi.
La Libye, terrain de jeu des alliances inter-jihadistesLe tour de vis sécuritaire qui a été opéré par les services marocains, algériens et mauritaniens autour de la région sahélo-saharienne, combiné au resserrement de la surveillance internationale au nord du Mali, a amené plusieurs organisations terroristes à délocaliser leurs activités vers le territoire libyen, dont une grande partie échappe au contrôle aux autorités officielles », relève Mustapha Razrazi.
Ce changement de cap s’expliquerait aussi par «la quête de nouvelles alliances avec d’autres groupes terroristes partageant les mêmes références idéologiques et les mêmes modes opératoires», explique encore l’universitaire marocain. Mokhtar Belmokhtar avait essayé de nouer contact avec d’autres figures du jihadisme afin de créer des alliances élargies à toute la région et dont le centre de gravité serait Daech, acronyme arabe du présumé Etat islamique en Irak et en Syrie», dévoile encore l’expert marocain.
Le Maroc était dans le collimateur de BelmokhtarMokhtar Belmokhtar, alias Al Aawar (le borgne), avait bel et bien essayé d’infiltrer les frontières du royaume, dans une tentative de porter le «jihad» au sein du territoire national. Seulement voilà, relève l’expert Razrazi, cette tentative s’est soldée d’un échec retentissant en raison de l’excellent travail de renseignement et la vigilance des services marocains. «Mokhtar Belmokhtar voulait infiltrer le royaume via trois accès frontaliers, l’Oriental, les frontières sud et le troisième, par le biais des cellules jihadistes dormantes en Europe», croit savoir l’universitaire Razrazi.
«Cela dit, il n’en demeure pas moins vrai que Mokhtar Belmokhtar a réussi à tisser des liens avec des cellules terroristes locales dont une partie a été démantelée, et une autre déstructurée», relève encore le chercheur marocain, rappelant que Mokhtar Belmokhtar avait menacé à maintes occasions de viser les intérêts marocains, ce qui dénote cette détermination farouche du terroriste à étendre son activité terroriste au-delà de la région sahélo-saharienne pour englober la région du Maghreb. Les accointances de cet émir sanguinaire avec le Polisario illustre bel et bien cette volonté diabolique.
Belmokhtar-Polisario, les liaisons dangereusesA la question de savoir si Mokhtar Belmokhtar avait des liens avec le Polisario, Mustapha Razrazi signe et persiste. Le chercheur évoque mêmes des « liens étroits » avec des éléments du front séparatiste, notamment ceux qui ont été enrôlés au sein d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et les barons des trafics de toutes sortes (drogue, cigarettes, voitures volées, etc).Mokhtar Belmokhtar, alias « Mister Marlboro », en raison de sa notoriété dans le trafic des «blondes» américaines, était compromis à un titre ou à un autre avec les mafias du crime transfrontalier prospérant dans l’axe Nouakchott-Bamako-Niamey-Alger.
«Mokhtar Belmokhtar, à l’instar des contrebandiers d’Afghanistan et de la Somalie, était bel et bien une figure du narco-terrorisme», certifie l’universitaire Razrazi, relayant des informations selon lesquelles l’ex-émir des «Signataires du sang», devenu «Al Mourabitoune» après sa fusion avec le Mujao (Mouvement unicité et jihad en Afrique de l’ouest), était «personnellement» intervient pour prêter main-forte à des mafias évoluant sur la bande frontalière entre la Mauritanie, le Mali, l’Algérie et la Libye.
Sur le point de savoir quel impact aura la mort de Mokhtar Belmokhtar sur la nébuleuse terroriste, l’universitaire Razrazi estime que cette disparition ne manquera d’impacter les groupes évoluant dans la région n’excluant pas que ces derniers vont tenter de se relever pour réorganiser leurs rangs en attendant de trouver un nouvel émir ayant la même étoffe que celle de Mokhtar Belmokhtar.