Analyse. Ce que risque l'UE en cas d'invalidation de l'accord de pêche avec le Maroc

Eli Hadzhieva, fondatrice et directrice de l'ONG Dialogue for Europe, basée à Bruxelles.

Eli Hadzhieva, fondatrice et directrice de l'ONG Dialogue for Europe, basée à Bruxelles. . DR

Pour Eli Hadzhieva, fondatrice et directrice de l'ONG Dialogue for Europe, basée à Bruxelles, l'Union européenne "risque de tomber dans des eaux agitées en cas d’invalidation de l'accord de pêche UE-Maroc" par la Cour de justice de l'Union. Voici comment.

Le 21/02/2018 à 10h15

Voici, en intégralité, la contribution, publiée en anglais sur le portail spécialisé Newseurope, d'Eli Hadzhieva, fondatrice et directrice de l'ONG Dialogue for Europe, basée à Bruxelles: 

L'UE risque de tomber dans des eaux agitées en cas d’invalidation de l'accord de pêche UE-Maroc par la CJUE

"Sur la base d'évaluations positives, la Commission et le Maroc n'ont décelé aucune raison particulière pour arrêter leur coopération fructueuse dans le secteur de la pêche, qui existe depuis 30 ans, jusqu'à ce que l'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) Melchior Wathelet a étonnamment recommandé l'annulation de l'accord le 10 janvier dans ses conclusions préliminaires. L'affaire avait été référée à la CJUE en 2015 par la Haute Cour de Justice (Angleterre et Pays de Galles) après qu'un groupe de pression basé au Royaume-Uni avait contesté la validité de l'accord de pêche, arguant qu'il ne profitait pas aux populations locales du Sahara occidental.

L'UE et le Maroc semblent bénéficier de l'accord de pêche selon une étude d'évaluation indépendante. Ses résultats montrent que l'accord non seulement promeut le développement durable du secteur de la pêche grâce à des projets de stratégie Halieutis, mais offre également l’emploi aux marins et pêcheurs marocains via 1000 contrats d'embarquement par an. En fait, les provinces du sud du Maroc (aussi appelées Sahara occidental) représentent 66% du budget total, ce qui correspond à 37 millions de dollars américains. En outre, 75% des avantages socio-économiques de l'accord, tels que la création de centaines de nouveaux emplois et l'amélioration des conditions de travail de dizaines de milliers de personnes, sont appréciés par les habitants des provinces du Sud.

De même, les gains des 11 pays de l'UE (Espagne, Portugal, Italie, France, Allemagne, Lituanie, Lettonie, Pays-Bas, Irlande, Pologne et Royaume-Uni) impliqués dans l'accord dépassent largement les 30 millions d'euros investis par l’UE pour le soutien de la politique sectorielle de la pêche marocaine. En effet, chaque Euro investi a créé 2,78 euros de valeur ajoutée pour l'UE.

Les conclusions de M. Wathelet ont été annoncées seulement deux jours après l'ouverture des négociations par la Commission pour renouveler le protocole de pêche actuel, qui expirera le 14 juillet 2018. Ces conclusions non contraignantes sont censées éclairer la décision des 15 juges de la CJUE, qui sera prise le 27 février. Mais ironiquement, ils sont basés sur des informations erronées selon de nombreux experts juridiques.

M. Wathelet considère que l'actuel accord de pêche viole le principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, en qualifiant le Sahara occidental de «territoire occupé». Pourtant, sur le plan juridique, le Sahara occidental ne peut être défini comme tel parce qu'il ne remplit pas les critères énoncés à l'article 42 de la Convention de La Haye: Présence d'un État ennemi sur le territoire, exclusion de l'autorité légitime et substitution par une autorité occupante. En effet, lorsque le Maroc a succédé à l'Espagne au Sahara occidental en 1976 conformément à l'Accord de Madrid, il n'y avait pas d'Etat sahraoui sur ce territoire, qui faisait partie du Royaume du Maroc avant la colonisation.

En outre, il ignore l'avis juridique du secrétaire général adjoint aux affaires juridiques et du conseiller juridique des Nations unies Hans Corell de 2002, qui reconnaît la possibilité pour le Maroc en tant qu’«autorité administrative» d’exploiter les ressources naturelles du Sahara occidental.

Un avis similaire de l'ancien ministre belge de la Justice Wathelet a été désavoué par la Cour en 2016, mais si les juges décident de l'entériner cette fois, l'UE risquerait de se retrouver dans des eaux agitées pour plusieurs raisons.

Premièrement, la CJUE n'a jamais examiné les questions préjudiciables relatives aux accords internationaux signés par l'UE et cela créerait un précédent dangereux, car toute région ou groupe de pression dans l'UE ou dans son voisinage (par opposition aux États ayant une personnalité juridique) pourrait contester les traités signés par son gouvernement central. Un effet domino pourrait par exemple se produire en Wallonie ou en Catalogne, ce qui mettrait la stabilité de l'Union en péril.

Deuxièmement, si la CJUE suit l'argumentation de M. Wathelet et commence à examiner les traités internationaux (qui sont de l'ordre du droit international), elle dépasserait ses attributions en incorporant le droit international dans le droit de l'Union et en assumant le rôle de la Cour internationale de justice.

Troisièmement, si la Cour choisit d'intervenir dans les efforts de règlement des conflits, qui sortent du cadre de ses compétences, cela pourrait saper les négociations menées par l'ONU et durcir la position des parties concernées.

Quatrièmement, la CJUE outrepasserait ses pouvoirs en statuant sur des questions de politique étrangère, qui sont une compétence partagée entre l'UE et ses États membres. La logique de M. Wathelet limiterait le pouvoir de manœuvre de l'UE en matière d'action extérieure, car l'Union devrait revoir tous les traités qu'elle a signés avec les pays confrontés à des problèmes de droits de l'homme. Cela remettrait en cause toute la politique européenne de voisinage et la politique de développement de l'UE, risquant même de détériorer la situation des droits de l'homme dans les pays qui s'engagent à se conformer aux normes européennes lorsqu'ils signent des accords de coopération et d'association avec l'Union.

Enfin, même si la Cour de l'UE décide d'invalider l'accord UE-Maroc, elle ne peut pas l'annuler, entre autres, en vertu de l'article 14 du protocole existant, qui exige un délai de 6 mois pour de telles actions. Toutefois, une telle décision entraverait les relations de l'UE avec son allié marocain, ce dernier pouvant se sentir isolé et moins coopératif sur les questions de sécurité dans les frontières méridionales de l'UE, menacées par des groupes extrémistes au Sahel et en Afrique du Nord. Etant donné les liens présumés du Front Polisario avec l'Etat islamique, considérés comme un effort de diversification de ses ressources suite au soutien décroissant de l'Algérie, il serait plus sage que l'UE garde ses liens avec le Maroc, le seul pays stable de la région, par une coopération renforcée non seulement dans le secteur de la pêche mais aussi dans d'autres domaines, tels que les questions de sécurité, la migration, le développement, les efforts de lutte contre la radicalisation, la coopération économique et commerciale et les relations avec l'Union africaine".

Par Le360
Le 21/02/2018 à 10h15

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J'espère que cet accord sera annulé, afin que les marocains puissent manger plus de poisson et moins cher. Cet accord ne rapporte presque rien au Maroc et vu la corruption généralisée, il ne profitera qu'à quelques uns comme d'habitude. Alors oui, que la CJUE annule cet accord et que le poisson du Maroc profite aux marocains.

Le Maroc c est lui même accord ou non les prix sont en augmentation pas de changement c est pour les bien des bourjoits

Le Maroc est toujours gagnant du fait que la CJUE a déjà exclu et profondément narguée le polisario en le remettant à sa juste place de mouvement séparatiste qui ne représente légalement personne . Le poisson est une richesse et si la CJUE décide que les européens ne le mérite pas et bien tant pis pour eux . d'autre part la commission européenne ne sera pas tenue le cas échéant d'exécuter l'invalidation de la CJUE du fait que l'article 240 Bis du traité de Lisbonne est claire ,il souligne sans ambiguïté l’incompétence de la CJUE dans ce domaine .

Ce juge semble ignorer que la majorité des sahraouis vit dans le Sahara Marocain et que ces citoyens jouissent de tous leurs droits à l'instar de leurs frères des autres région de la patrie.Ce magistrat devrait relire l'histoire du Maroc et l'empire chérifien avant de se prononcer sur une question qui ne relève aucunement du domaine de la raison.N'y aurait -il pas anguille sous roche.

La cour européenne a bien statué sur le sujet du Sahara par le passé sous la demande de feu Hassan2 . pourquoi elle ne le fera pas maintenant. C’est feu Hassan II qui lui a donné la possibilité de le faire avec les deux questions posées : est ce que le Sahara était une terre sans pouvoir centrale, est ce que il y avait des liens l’allégeance entre les sahraouis et le roi.

Bien que cette analyse soit exhaustive, il me semble opportun d'ajouter les convoitises en matière de pêche maritime précisément dans cette zone par des pays tels que la Chine, la Russie, le Japon et même l'Inde sans parler des pays scandinaves. Vous voyez bien cher maître Wathelet que le Maroc a l'embarras du choix. Si vous voulez jouer un coup de poker, vous partez perdant d'avance. Comme dit la croupière : "Rien ne va plus". The game is over

Donc pourqu'oi le maroc tient à la validation de cet accord??il n'y gagne rien, il est a l'avantage des europeens????

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