La guerre d’indépendance algérienne est terminée depuis 1962, mais, pour l’année 2024, le budget du ministère algérien des Moudjahidine (anciens combattants) est de 224,96 milliards de dinars (+- 1,7 milliard d’euros). Ce chiffre étant constant depuis plusieurs années, la question se pose donc de savoir si les moudjahidine algériens sont immortels.
Pour avoir combattu l’armée française, il faudrait en effet qu’au minimum, un combattant soit né dans les années 1940, ce qui fait que les plus «jeunes» des moudjahidine ont aujourd’hui environ 85 ans. L’espérance de vie en Algérie étant de 76 ans (chiffre de 2022), le budget du ministère des Moudjahidine devrait donc suivre une courbe baissière. Or, cela n’est pas le cas, car, paradoxe algérien, au lieu de diminuer, plus les années passent, et plus le nombre des «anciens combattants» augmente… Ainsi:
- En 1963, l’Algérie comptait 6.000 moudjahidine.
- En 1972, ils étaient 70.000, plus 150.000 veuves de moudjahidine.
- À la fin de la décennie 1980, 500.000 Algériens étaient pensionnés.
- En 2010, les moudjahidine et les ayants droit étaient 1,5 million.
Une telle inflation, contraire à toutes les lois naturelles, s’explique car, en Algérie, certains qui n’avaient pas 10 ans en 1962 ont officiellement été reconnus comme anciens moudjahidine… Rien d’étonnant à cela, car, dans un entretien en date du 27 octobre 2004 donné au quotidien français Libération, M’Barak Khalfa, alors dirigeant de l’Organisation nationale des enfants de moudjahidine (ONEM), a déclaré qu’il «il y a eu au moins un million de moudjahidine».
Or, pour mémoire, en 1961, la population totale de l’Algérie, Européens compris, était de 11.969.451 habitants. Si nous retranchons 1.200.000 Européens, nous obtenons le chiffre de 10.769.451 Algériens, dont 50% de femmes, soit 5.384.725 hommes, dont au minimum 50% de mineurs, ce qui donne une population masculine adulte d’environ 2,6 millions. Selon M’Barak Khalfa, 50% de ces derniers auraient donc pris les armes contre la France…
La question est intéressante à deux titres: celui du nombre des anciens moudjahidine et celui de la réalité de cette qualification car, selon l’ancien ministre algérien Abdeslam Ali Rachidi, «tout le monde sait que 90% des anciens combattants, les moudjahidine, sont des faux» (El Watan, 12 décembre 2015).
L’historien ne regardant que les faits, il se doit donc de poser la question suivante: combien y avait-il de moudjahidine au moment du cessez-le-feu du mois de mars 1962? Pour le savoir, il dispose des sources algériennes et des sources françaises:
1- Sources algériennes
La source la plus fiable est celle de Ben Youcef Benkhedda qui fut le dernier président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Dans son livre paru en 1997 (L’Algérie à l’indépendance, la crise de 1962), il donne le chiffre d’environ 65.000 combattants à la date du cessez-le-feu de mars 1962, à savoir:
- Les maquis de l’intérieur: 35.000 combattants, dont 7.000 pour la wilaya I, 5.000 pour la II, 6.000 pour la III, 12.000 pour la IV, 4.000 pour la V et 1.000 pour la VI.
- L’ALN, l’armée des frontières: un peu plus de 30.000 hommes.
2- Sources françaises
Les sources françaises sont très proches de celles du GPRA, puisqu’elles donnent le chiffre d’environ 50.000 combattants. Selon le 2ème Bureau français, le nombre de maquisards de l’intérieur était en effet de 20.000 en 1958 et au mois de mars 1962, à la signature des accords d’Évian, les combattants nationalistes de l’intérieur étaient estimés à 15.200. Quant à ceux de l’extérieur, à savoir l’ALN, ils étaient de 32.000, dont 22.000 en Tunisie et 10.000 au Maroc.
Ces chiffres voisins permettent donc d’avoir un ordre de grandeur raisonnable, et dans tous les cas, loin des chiffres fantasmagoriques donnés par M’Barak Khalfa.
La suite dans ma prochaine chronique.