Le roi Mohammed VI a un style qui lui est propre: l’écoute particulière des humbles, une appréhension conséquente des rudes conditions de travail et de vie des défavorisés, une sollicitude sincère à l’égard des exclus et des handicapés; bref, une fibre sociale qui vient du cœur. Le Roi n’a pas cependant attendu son accession au trône pour faire montre d’un intérêt tout aussi marqué pour les catégories défavorisées de la population. En devenant roi, Mohammed VI ne pouvait évidemment que donner la pleine mesure à cette inclination de son cœur et en faire l’un des axes prioritaires de sa politique.
Dans un tel schéma, il faut bien voir que l’on ne peut réduire le statut royal à sa seule expression sociale en l’occurrence; ce serait une manière de corseter l’action royale et de la banaliser, puisque son déploiement sur le terrain resterait pratiquement comparable, de surcroît, à des dizaines d’associations intervenant dans le même champ.
Faut-il en effet rappeler que le premier article de chaque Constitution marocaine, depuis celle de 1962 d’ailleurs, précise expressément que «le Maroc est une monarchie constitutionnelle, démocratique et sociale»? Le caractère social est donc bel et bien proclamé -et dans les toutes premières dispositions de la loi suprême. Celles-ci traduisent la volonté de ne pas limiter la nature de la monarchie à son articulation constitutionnelle et démocratique, mais de l’étendre au domaine social. Elles évoquent ainsi plus directement la sollicitude de la nation face à ceux de ses membres qui sont les plus vulnérables, car pour réaliser une certaine justice sociale, la solidarité nationale doit jouer.
C’est dire que le Roi entend édifier: une société plus juste, consacrant l’égalité des chances, où les couches défavorisées auront leur place entière. Et leur dignité. Dans cet esprit, la lutte contre la pauvreté possède à ses yeux une dimension prenant en charge tout un projet de société: elle participe en effet de sa vision des droits humains. Loin de se limiter à cet égard aux aspects institutionnel et politique, il souligne que si son attention se porte aussi sur les questions sociales, c’est parce que celles-ci «constituent la base de la préservation de la dignité de l’Homme».
Le roi Mohammed VI a certainement une claire conscience de ce qu’il ne faut plus faire: continuer à «gérer» comme par le passé. Il se veut l’espoir et le bâtisseur d’un Maroc nouveau, d’une vision autre du modèle de développement. Il n’ignore pas que cette approche doit être globale dans ses composantes, que cette redéfinition ne peut être purement économique, voire comptable, qu’elle ne peut pas non plus se fonder sur une dissociation des dimensions économique, sociale et culturelle, et qu’il convient donc de reconstruire la cohérence entre toutes ces données.
Une cohérence capable de fonder une action politique compensatoire -ce qui serait à cet égard la meilleure des hypothèses- en faveur du «développement social» et des exclus (femmes, jeunes, ruraux, handicapés...), et qui ne serait pas que des mesures partielles, des «ambulances» sur le champ de bataille économique. Un nouveau modèle.
Que cette vision du développement soit nécessairement politique, voilà qui n’est guère contestable, tant il est vrai qu’elle concerne le choix des finalités du progrès social et qu’elle implique des arbitrages entre diverses conceptions en présence. Les choix des finalités intéressent la nature même des besoins à satisfaire en priorité. Ainsi, les stratégies de développement devront se prononcer sur la pondération relative à accorder à l’accélération du rythme de la croissance globale, à l’ouverture extérieure, à la réduction des inégalités, à la satisfaction de besoins jugés essentiels, à la recherche de la consolidation et de la promotion de la souveraineté nationale, ou à tout autre objectif collectif (édification maghrébine, association avec l’Union européenne…). Mais ces choix, s’ils doivent s’articuler sur des horizons temporels fixés, n’en impliquent pas moins des arbitrages: comme on ne peut tout faire en même temps, il convient donc de fixer des hiérarchies et des séquences.
Assurément, sa pensée présente un caractère syncrétique évident: elle embrasse tous les âges du Maroc, et étreint également toutes les phases de son nationalisme. Elle assume ainsi l’histoire du nationalisme, au premier rang duquel il met son grand-père, feu Mohammed V, et son père, feu Hassan II. Le peuple marocain? Il en a une conception bien particulière: non pas seulement une communauté organique abstraite, mais un être vivant formé de quelque trente-huit millions de personnes -des jeunes, des vieux, des femmes, des pauvres, des handicapés-, bref, non pas un lien de nature presque mystique, mais une relation personnelle avec tout un chacun. S’il récuse les divisions artificielles -notamment celles marquées au coin de la vulgate idéologique du passé et des clivages inopérants qui y étaient liés-, il se veut sourcilleux quant à l’unité du peuple marocain. Mais il mesure, compte tenu de ce qu’il sait et de ce qu’il a vu et entendu, qu’il existe un Maroc des nantis et un autre Maroc, celui de millions de laissés-pour-compte. C’est de ce monde-là qu’il porte aujourd’hui les espoirs, au grand dam des beaux quartiers quelque peu rétifs à une méthode, un style. Et à une philosophie…
Le roi Mohammed VI s’est taillé, dans le champ politique national, une place centrale qui ne tient pas seulement à son statut spirituel et constitutionnel. Dans l’imaginaire du peuple, il symbolise l’expression personnifiée des «sans voix»: ceux qui subissaient les vicissitudes de leurs dures conditions de travail et de vie, ceux qui étaient «out», ceux qui n’avaient plus l’espoir de lendemains meilleurs malgré un discours gouvernemental obstinément optimiste.
L’espoir a changé de camp: il se porte depuis un quart de siècle sur un Roi «tout terrain», si l’on ose dire, sillonnant les campagnes jusqu’aux coins les plus reculés, soutenant des micro-projets, inspectant l’application des programmes, stimulant les énergies locales, bousculant les routines; bref, le Roi tourne le dos à une certaine manière de faire pour donner l’exemple, par des signes forts, à une nouvelle méthodologie d’action qu’il entend déployer et promouvoir. Une autre gouvernance…
Le roi Mohammed VI prend de plus en plus la mesure des attentes et des besoins du peuple. Mais loin de les considérer comme un handicap, il en fait le levier d’une politique de changement qu’il entend résolument et durablement mener, se situant ainsi de plain-pied à l’avant-garde des réformes. Alors que les partis politiques institutionnels ont délaissé depuis longtemps ce domaine, absorbés par l’électoralisme, les stratégies individuelles de leurs dirigeants et les rentes de situation, le Roi sort la politique conventionnelle des rites, des archaïsmes et du huis clos dont elle était jusqu’alors familière pour l’ouvrir au grand air. Ce faisant, il surclasse les activités sociales pour se réapproprier la capacité d’impulsion d’une nouvelle dynamique de développement solidaire.
Le roi Mohammed VI s’investit pleinement dans les miroitements d’une autre société, plus juste, plus démocratique, plus digne pour tout dire. Il est présent sur le front social pour montrer la voie et enclencher sur place, partout, le processus devant être imprimé dans ce domaine. C’est dans la durée qu’il inscrit les axes du développement solidaire pour lequel il est mobilisé.
Réaliste, l’imaginaire de Mohammed VI? Oui, sans doute. Roi du Maroc par statut, il entend également être le Roi des Marocains. Captif de sa charge, il est conscient de la grandeur de l’entreprise et de l’ampleur des défis. Bien souvent, les peuples attendent, pour découvrir les vertus de leurs dirigeants, que soit venu le temps des nostalgies. Le peuple marocain, lui, s’accorde déjà à reconnaître qu’il vit un grand règne…