L’altitude n’est pas anodine puisqu’au niveau de la stratosphère, soit entre 12 et 50 km d’altitude, se trouve une limite au-delà de laquelle la souveraineté des Etats ne s’exerce plus. Une sorte d’espace aérien international, qui commence à partir d’une altitude de 66.000 pieds, soit 20 km.
Par conséquent, annoncer que le ballon survole leur espace aérien à une altitude de 18 km permet aux Américains de militariser l’objet et d’en faire une cible légitime du point de vue du droit international.
Les civils et les médias ont très rapidement pris le relais, en inondant la Toile autant que les émissions télé d’une multitude d’images et de vidéos dudit ballon.
L’US Air Force entreprend le 4 février d’abattre ce ballon, très rapidement qualifié de chinois, en envoyant un chasseur multirôle F-22 dans ce qui pourrait être qualifié de show militaire totalement rocambolesque, très loin d’une opération militaire efficace et discrète.
La Chine annonce dans un premier temps qu’il s’agissait d’un ballon civil de recherche météorologique, qui a tout simplement dévié de sa trajectoire, jugeant la réaction américaine comme exagérée. Mais très rapidement, Pékin monte au créneau en accusant à son tour les Etats-Unis d’avoir violé son espace aérien une dizaine de fois en 2022 à l’aide de la même technologie.
Quelques jours plus tard, la chasse aux ballons est lancée. Entre le 12 et le 14 février, les forces armées canadiennes et américaines ont annoncé avoir abattu 3 autres ballons, sans pour autant les attribuer cette fois à la Chine.
Après avoir succinctement dressé le tableau militaire et technique de cette saga, abordons désormais les soubassements diplomatiques et géopolitiques des différents éléments.
Premier élément: quel intérêt avaient les Etats-Unis à médiatiser toute cette affaire et à aller jusqu’à abattre le ballon chinois? Sachant que ce procédé de surveillance et d’espionnage est usité de part et d’autre par toutes les grandes puissances depuis des décennies. Sans oublier les récentes déclarations d’un haut gradé américain, qui n’exclut aucune piste concernant les autres ballons identifiés, y compris la piste extraterrestre, évoquée par la journaliste qui l’interrogeait.
D’ailleurs, en écrivant cette chronique, je n’ai pu m’empêcher de chantonner la célèbre musique de la série américaine culte des années 1990 «X-Files». Mais les agents Mulder et Scully ayant probablement pris leur retraite depuis, j’ai décidé de rester dans le champ du possible et du raisonnable dans cette affaire, l’ufologie ne faisant pas partie de mes champs de compétence.
Alors, premier élément de réponse: créer des tensions avec la Chine.
Car dans un contexte de perte d’initiative militaire en Ukraine au profit de la Russie depuis plusieurs semaines, les Américains visent peut-être à étendre le périmètre de tension au premier allié objectif de Moscou, à savoir Pékin. Une manière peut-être d’envoyer un signal à la Chine, à savoir que le soutien technologique et économique apporté par ce pays à la Russie aura des conséquences pouvant couvrir même la dimension militaire, comme en témoigne le ballon chinois abattu.
Deuxième élément à analyser: pourquoi les autorités américaines n’ont-elles pas attribué les autres ballons abattus ou encore dans le ciel à la Chine? Une prudence qui contraste avec le bellicisme de la réaction face au premier ballon chinois, et qui va jusqu’à ne pas exclure la piste extraterrestre. L’objectif me paraît clair: créer un brouillard de guerre. Car premièrement, parmi la multitude de ballons qui survolent actuellement le ciel américain, il y en a qui appartiennent probablement à des pays alliés (exemple: Royaume-Uni) ou à des sociétés civiles américaines.
De même, ce genre de dérapage contrôlé de la part d’un haut gradé américain permet de réduire l’intensité des tensions avec la Chine, afin de garder ces tensions dans une bande de fluctuation contrôlable. Car ce n’est pas l’escalade crescendo qui est recherchée par Washington, mais une dynamique de tensions suffisamment importante pour mettre la pression sur Pékin, mais pas trop forte afin de ne pas franchir un seuil qui pourrait devenir contre-productif pour les intérêts des Etats-Unis.
Une stratégie vieille comme la guerre, dont la connaissance et la compréhension devraient nous inviter à plus de lucidité dans ce genre de situation, afin de ne pas tomber dans le piège de l’emballement médiatique du divertissement, et de rester sur le terrain du sérieux.
Cette chronique étant achevée, je m’en vais de ce pas scruter le ciel de Casablanca avec mon vieux télescope amateur datant des années 1970, en espérant ne pas confondre une mouette ou un sac de plastique volant avec un ballon d’espionnage chinois.