A Manchester, ville frappée en son coeur par un attentat qui a tué principalement des enfants et des parents lors d'un concert lundi, les passants, qui viennent déposer ou s'apprêtent à le faire, des bouquets et des mots doux sur la place Saint Ann qui en est tapissée, arrêtent leurs pas.
Ils s'agglutinent en demi-cercle, comme au spectacle. Certains hésitent, plus ou moins longtemps, et se lancent. Hipsters barbus, mamans, écolières en uniforme, un vieux monsieur indien en costume gris, des copines en robe légère y vont à deux. Un petit garçon jette ses bras autour de la taille du jeune homme, le déstabilisant un peu. "Oh merci! Une bonne journée à toi".
Personne ici pour trouver ça mièvre ou déplacé. "Un peu de chaleur, ça fait du bien", soupire une dame ronde d'une cinquantaine d'années, une frange sable et sel sur des yeux bleus rougis, le teint brouillé de larmes fraîches.
Sur cette place, devenue emblématique de l'affliction des Mancuniens, les fleurs s'amassent et débordent. C'est un défilé continu, dans un bruit de fond sourd, presque silencieux.
Une femme au T-shirt rock et lunettes noires dépose ses tulipes et met la main devant sa bouche, sa fille la prend par la taille. Un instituteur vient déposer des dessins des enfants de sa classe, pour dire "on pense à vous", et disparait aussitôt.
Démonter les préjugés
Une policière en uniforme fait la queue pour rendre hommage. L'une des 22 victimes était une collègue, sortie en civil le soir de l'attentat avec son mari. Non, elle ne la connaissait pas personnellement, répond-elle à une curieuse.
Une femme voilée déambule avec sa petite fille, proposant sur des plateaux de petits chaussons fourrés fait maison. "Prenez-en un, vous êtes debout depuis longtemps.." Elle a du succès.
Pendant ce temps, à une vingtaine de mètres, le petit bonhomme agite un peu les bras, c'est que ça fourmille à force de les avoir grands ouverts, comme un chef d'orchestre, et d'y serrer chacun.
Il ne le voit pas, son masque toujours sur les yeux, mais une queue s'est formée et désormais il distribue les "hugs" à la chaîne. Casquette noire, pantacourt bouffant et tennis, il porte un T-shirt blanc avec l'abeille de Manchester, mascotte ultra-résistante, avec le slogan "manic and proud" (déchaînée et fière).
Une heure et des centaines de câlins plus tard, il craque. "Merci à tous, je suis reconnaissant. Quand il se passe des choses effrayantes, certains se retrouvent parfois accusés de manière injuste, font l'objet de préjugés", explique-t-il aux derniers passants, qui l'applaudissent.
Baktash Noori, "Bako" pour ses amis, a 22 ans. Exactement le même âge que Salman Abedi, kamikaze responsable de l'attentat de Manchester, revendiqué par le groupe Etat islamique (EI). Comme lui, il est né et a été élevé ici, "c'est une ville géniale non?".
L'ingénieur informatique fraîchement diplômé, aux faux airs de Riz Ahmed, un acteur anglais qui a joué notamment dans la série "Homeland", n'a rien inventé, confie-t-il à l'AFP. Il reconnaît s'être inspiré d'expériences vues sur les réseaux sociaux, mais se dit bouleversé par le nombre de gens convaincus par sa petite affiche en carton.
"Certains pleuraient, je l'ai senti. J'ai reçu des accolades de générosité pure".