Lancée après le soulèvement de 2011 et l'éviction du président Hosni Moubarak, le décapant "Al Bernameg" (The Show) a rassemblé jusqu'à 30 millions de spectateurs par épisode dans un pays de 82 millions d'habitants, jusqu'à ce qu'il soit suspendu et que le comique quitte le pays.
Son histoire est au coeur d'un documentaire, "Tickling Giants" ("Chatouiller des géants"), qui sort vendredi à Los Angeles, et de mémoires intitulés "Revolution for Dummies" ("La révolution pour les nuls").
Surnommé le Jon Stewart d'Egypte, en référence à l'humoriste vedette américain qu'il adule, Bassem Youssef faisait fi des règles des médias d'Etat, ridiculisant les politiciens de tous bords et offrant une dose d'humour bien nécessaire dans un pays en pleine tourmente.
Mais ses moqueries se sont révélées insoutenables pour les dirigeants du pays: d'abord le régime issu des Frères Musulmans de Mohamed Morsi, élu président après la chute de Moubarak, puis le président actuel, Abdel Fattah al-Sissi, qui a supplanté Morsi.
Après la fin de "El Bernameg" en 2014, l'animateur a fui l'Egypte avec sa famille, s'installant d'abord à Dubaï avant de finalement poser ses valises à Los Angeles.
"Il y a beaucoup de gens, particulièrement des Egyptiens, qui regarderont ce film et y verront (...) la chronique d'un moment très important de l'histoire", a raconté le comédien de 43 ans à l'AFP.
Il a rendu hommage à la réalisatrice du film Sara Taksler, la productrice de "The Daily Show", l'émission de satire politique longtemps animée par Jon Stewart. Elle a selon lui réussi à utiliser la comédie et la satire pour expliquer le Printemps arabe en Egypte à un public occidental, sans faire de morale, et en transmettant avant tout "une histoire humaine".
Malgré le coup d'arrêt porté à son émission, Bassem Youssef est fier d'avoir aidé à stimuler le débat politique dans son pays et offert un vecteur d'expression aux frustrations de ses concitoyens.
"Le show a incité les gens à dire ce qu'ils pensaient à travers des mèmes internet, des sketches sur YouTube ou en ligne", a-t-il détaillé.
"On a ouvert la porte à beaucoup de gens", qui ont osé ensuite faire "quelque chose qui n'était même pas imaginable avant", poursuit-il.
L'humoriste reconnaît qu'il lui a été difficile de s'ajuster à sa nouvelle vie en Amérique, où il s'est installé pendant l'une des plus acrimonieuses campagnes présidentielles de l'histoire récente.
Il était tristement ironique de quitter "un dictateur pour quelqu'un qui essayait d'en devenir un", remarque-t-il en référence au président américain Donald Trump.
Mais "même si Trump est horrible, on a encore foi dans les institutions qui peuvent le contenir", insiste-t-il.
Sara Taksler souligne que suivre Bassem Youssef pendant trois ans lui a permis encore plus d'apprécier la valeur de la liberté d'expression.
"Quand nous faisions 'Tickling Giants', je n'arrivais pas à imaginer ce que ce serait d'avoir un président si susceptible aux plaisanteries et maintenant nous avons une petite idée de ce que ça donne", observe-t-elle.
"J'ai du mal à réaliser ce que ça a été pour l'équipe de Bassem de faire face aux répercussions", ajoute-t-elle.
Le comédien tente à présent de se réinventer en Amérique.
"C'est un marché très difficile. C'est Hollywood et il y a ici des gens qui ont encore plus d'expérience que moi et qui ont du mal", fait-il valoir. "C'est une aventure et quelque chose qui m'intéresse et me terrifie en même temps".
Il n'envisage toutefois pas de remiser ses plaisanteries pour retourner au bloc opératoire.
"Si je ne m'étais pas embarqué dans cette aventure, je ne serais pas assis ici (...) avec un documentaire sur moi", a-t-il remarqué.
"Tout ce que j'ai fait c'est de dire des plaisanteries et j'ai reçu plus d'attention médiatique que tout autre chirurgien cardiaque, ce qui est un peu injuste. Mais c'est la vie."