Récemment, le Parlement chinois a voté une loi qui fixe et clarifie les lignes directrices et les principes fondamentaux de sa politique extérieure.
Composée de 10 chapitres, un peu à l’image des 10 commandements, elle entend s’appuyer sur le droit international et sur la législation chinoise pour sauvegarder la souveraineté, la sécurité et les intérêts économiques de la Chine, afin de garantir son développement.
Sur un plan plus offensif, quoique défensif aussi, cette loi qualifiée par certains experts comme anti-hégémonique, vise à doter Pékin de la légitimité et des leviers juridiques qui lui permettront d’imposer des limites à l’hégémonie occidentale. Cela implique la mise en place d’une mécanique de mesures et de contre-mesures à l’encontre des pays étrangers, des individus ou des ONG qui s’aventureraient à violer la souveraineté de la Chine ou à porter atteinte à sa sécurité et à ses intérêts. Ce que Washington pratique déjà mais à l’échelle planétaire à travers le principe d’extraterritorialité du droit américain.
Cette loi offre également une assise juridique pour contrer les sanctions et les ingérences étrangères, à travers en partie la possibilité d’opérer une réponse symétrique, qui n’a pas forcément pour finalité d’enclencher une escalade, mais de jouer davantage un rôle de dissuasion, un peu comme celui qui est joué par l’arme nucléaire sur le champ de bataille.
Ainsi, pour la première fois de son histoire, la Chine assume pleinement une extraterritorialisation de son droit, mais, et le mais ici est important, dans une perspective fondamentalement défensive.
Cependant, peut-on aller jusqu’à dire que la Chine risque à terme d’opposer son hégémonie, du moins économique et juridique, à l’hégémonie occidentale et principalement américaine? C’est pour le moins compliqué de répondre par l’affirmatif.
Car contrairement à Pékin, l’hégémonie américaine est certes autant économique que juridique, diplomatique et militaire, mais elle s’appuie sur un substrat infiniment plus puissant: l’hégémonie culturelle, ou anti-culturelle pour certains. Je fais ici référence à l’«American way of life», à l’«American dream», à Hollywood…
L’américanisation du monde et des modes de vie et de consommation ne s’est pas faite que militairement et économiquement. Elle a toujours été accompagnée, et des fois précédée, par une greffe culturelle, à travers un soft power inégalé dans l’histoire.
Les Marocains ayant étudié en Union soviétique dans les années 1970 peuvent en témoigner. Puisqu’à l’apogée de la puissance géopolitique et idéologique de Moscou dans le monde, la jeunesse russe dansait le swing, écoutait les Beatles et s’arrachait les jeans et vestes en cuir, introduits clandestinement dans le pays.
Car la victoire sur l’ennemi est d’abord mentale. Sur le champ de bataille militaire ou économique, il s’agit juste de la formaliser.
Quant à la Chine, le logiciel culturel est fondamentalement différent.
N’ayant jamais été structurée culturellement et anthropologiquement par le monothéisme, la Chine n’a jamais été porteuse du principe de l’universalisme. Ce qui fait qu’elle a de tout temps été une puissance ethnocentrée. Car de même que vous ne pourrez jamais devenir chinois, la Chine ne rêve pas non plus de vous convertir à la «sinité».
A ce propos, l’écrivain et dramaturge italien Alessandro Baricco disait poétiquement, en parlant de la muraille de Chine, qu’il s’agit «d’une idée écrite avec des pierres».
Autrement dit, à aucun moment cette muraille ne visait réellement à rendre complètement étanche sa frontière avec la steppe. Elle visait avant tout à marquer une frontière symbolique entre le monde chinois, autrement dit le monde civilisé, et le monde des barbares, celui des peuplades turco-mongoles.
Pour certains, cette nouvelle loi pourrait constituer une première fissure ou brèche dans cette muraille autant mentale qu’architecturale. Permettez-moi d’en douter.
Cependant, il n’est pas exclu que du fait de la nécessité du monde contemporain et un peu par désir mimétique, pour reprendre René Girard, nous assistions peut-être à l’émergence d’une nouvelle forme d’hégémonie, chinoise pour le coup, qui permettrait à Pékin, tout en contenant l’hégémonie américaine, de défendre ses intérêts vitaux et contribuer à l’émergence d’un monde multipolaire.