Dans l'espoir de rassurer les marchés, la banque centrale de Turquie a indiqué lundi qu'elle fournirait toutes les liquidités dont les banques auraient besoin et prendrait les "mesures nécessaires" pour assurer la stabilité financière.
Cette annonce survient après que la livre turque, qui a perdu cette année plus de 40% de sa valeur face au dollar et à l'euro, s'est effondrée vendredi, faisant souffler un vent de panique sur les marchés à travers le monde.
Gagnées par l'onde de choc du "Vendredi noir", qui a vu la livre perdre en un jour quelque 16% de sa valeur face au dollar, les Bourses de Tokyo et Hong Kong ont fortement baissé lundi. Les principales places européennes, déjà affectées vendredi, restaient fébriles.
Avant l'annonce de la banque centrale, la livre a battu à nouveau un record à la baisse dans les premières heures en Asie, dépassant pour la première fois 7 livres contre un billet vert. Elle s'échangeait à 6,87 à 10H15 GMT, en baisse de 6,9% sur la journée.
La banque centrale a révisé les taux de réserves obligatoires pour les banques, dans le but d'éviter tout problème de liquidité, et indiqué qu'environ 10 milliards de livres, 6 milliards de dollars et l'équivalent de 3 milliards en or de liquidités seraient fournis au système financier.
La déroute de la livre s'est accélérée au cours des deux dernières semaines en raison d'une grave crise diplomatique entre Ankara et Washington liée à la détention en Turquie d'un pasteur américain, Andrew Brunson.
Erdogan voit un "complot"
Déclarations chocs, sanctions, menaces de représailles, puis doublement des tarifs douaniers américains sur l'acier et l'aluminium turc vendredi: les tensions entre les deux alliés au sein de l'Otan sont allées crescendo ces derniers jours, emportant la livre turque.
Pendant le week-end, M. Erdogan a multiplié les coups de menton en direction de Washington, mettant la crise monétaire sur le compte d'un "complot politique" américain et affirmant qu'Ankara chercherait "de nouveaux marchés et alliés".
"Nous affrontons de nouveau un complot politique en sous-main. Avec l'aide de Dieu, nous surmonterons cela", a lancé dimanche le chef de l'Etat turc, laissant entendre que l'ensemble de l'alliance entre la Turquie et les Etats-Unis était en jeu.
"Nous attendons des Etats-Unis qu'ils restent fidèles à notre relation traditionnelle d'amitié et à notre appartenance à l'Otan", a déclaré lundi le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu. Outre les tensions entre Ankara et Washington, les économistes s'inquiètent aussi de la mainmise sur l'économie de M. Erdogan qui s'est renforcée après sa réélection en juin dernier.
Les marchés exhortent la banque centrale à redresser davantage ses taux pour soutenir la livre et maîtriser une inflation galopante qui a atteint près de 16% en juillet en glissement annuel, mais le président s'y oppose.
Internautes traqués
Dimanche, le chef de l'Etat a même qualifié les taux d'intérêt d'"instrument d'exploitation qui rend les pauvres plus pauvres et les riches plus riches". Dans ses annonces lundi, la banque centrale turque n'a pas fait mention des taux.
"Le refus d'Erdogan d'augmenter les taux d'intérêt suggère que la situation ne devrait pas se calmer à court terme", souligne Konstantinos Anthis, analyste pour ADS Securities. Les marchés ont également mal accueilli la nomination en juillet au poste de ministre des Finances du gendre de M. Erdogan, Berat Albayrak.
Par ailleurs, le ministère turc de l'Intérieur a indiqué lundi qu'il enquêtait sur des centaines d'internautes qu'il soupçonne d'avoir partagé des commentaires relevant de la "provocation" visant à affaiblir la livre.
"L'économie turque a une constitution robuste", a déclaré sur Twitter le porte-parole de M. Erdogan, Ibrahim Kalin. "Que personne n'accorde d'attention aux informations spéculatives".
En dépit de l'ampleur de cette crise monétaire, les principaux journaux et les chaînes d'information en Turquie couvrent au minimum les tourments de la livre et reprennent en choeur les éléments de langage de M. Erdogan.