Le pays marquera la semaine prochaine l'anniversaire du début de ces bouleversements, validés par le Parti communiste chinois (PCC) le 18 décembre 1978. A cette occasion, l'AFP a interrogé cinq Chinois qui racontent ce qui a changé concrètement dans leur vie.
"Ma vie est bien meilleure que celle de mes parents", raconte en souriant Mme Ou Banlan devant l'ex-usine textile où elle travaillait à Shenzhen (sud), la ville laboratoire de l'ouverture qui a connu "des changements énormes" depuis 40 ans.
Ce petit bout de femme de 52 ans aux cheveux courts, vêtue d'un coquet T-Shirt rose, est née dans un village des environs, où elle a vécu jusqu'à l'adolescence.
"La vie était extrêmement rude. Toute la Chine était comme ça à l'époque, très pauvre. On avait de quoi manger mais juste le strict nécessaire", se remémore-t-elle.
"J'ai toujours espéré vivre en ville, alors quand à Shenzhen ils ont commencé à chercher des ouvriers, je suis venue."
La métropole compte aujourd'hui près de 13 millions d'habitants, mais n'était à l'époque qu'une bourgade agricole qui s'ouvrait à l'industrialisation.
"La vie n'était pas géniale. J'étais une petite ouvrière, qui mangeait à la cantine et vivait dans un dortoir. L'environnement était chaotique, sale... Il n'y avait pas autant de gratte-ciels que maintenant."
Depuis 1979 et le début des réformes économiques, le PIB chinois a été multiplié par 69, et 800 millions de Chinois sont sortis de la pauvreté, selon la Banque mondiale.
"Après quelques années de travail, j'ai eu mon propre logement, des loisirs, je pouvais voyager. J'avais aussi du temps libre pour aller au restaurant, faire du shopping... Avant, je n'aurais même pas pu imaginer ça!"
En Chine, les hommes peuvent partir à la retraite en moyenne à 60 ans et les femmes à 55 ans. Les ouvriers comme Ou Banlan peuvent s'arrêter cinq ans plus tôt.
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"Ces quarante dernières années, la qualité de vie du citoyen lambda a nettement augmenté", résume-t-elle. "Même si la couche la plus basse de la population a toujours du mal à protéger ses droits."
Né peu après le lancement des réformes, Zhao Chen est un jeune entrepreneur branché de 34 ans qui a le monde devant lui.
Dans son bureau niché dans un gratte-ciel de Zhongguancun, le quartier d'innovation de Pékin, il finance des startups spécialisées dans l'intelligence artificielle, l'électroménager connecté ou encore les robots de livraison de colis.
Enfant des années 1980, Zhao Chen s'imaginait une voie toute tracée dans une paisible entreprise publique ou dans l'administration- comme ses parents.
Mais il a préféré profiter de l'ouverture du pays et faire partie de cette vague de Chinois qui dans les années 2000 sont allés étudier à l'étranger. Il a obtenu un Master en informatique et un MBA d'universités américaines réputées.
Après huit ans en Californie, il est retourné en Chine pour fonder "Plug and Play", un incubateur qui conseille, finance et aide les startups à mettre leurs produits sur le marché.
"Je suis d'abord rentré à cause de ma famille. Mais aussi à cause des opportunités. Les débouchés sont ici", souligne M. Zhao, pour qui le rythme est bien plus rapide en Chine que dans la Silicon Valley.
"Les gens sont avides de réussite. Beaucoup sont prêts à travailler dur, de 9h du matin à 9h du soir, six jours par semaine", explique-t-il.
Un rythme qui aurait été difficile à concevoir dans les années 1970, lorsque l'économie nationale était sclérosée.
"A l'époque, mes parents devaient tout se procurer avec des tickets de rationnement. Aujourd'hui, ils paient avec de l'argent dématérialisé, en scannant un code QR avec leur smartphone", résume Zhao Chen.
"Et puis il n'y avait pas vraiment de choix en matière de nourriture, de congés, de voyages, d'achats en ligne ou de livraison comme nous en avons désormais. Nous sommes les bénéficiaires des réformes."
Pour les artistes comme Jin Shan, les réformes ont permis de briser les carcans de l'époque maoïste (1949-1976).
"Avant, les gens ne mangeaient pas à leur faim. Puis ce problème a été résolu et ils ont obtenu la liberté de faire et de penser beaucoup de choses", explique le plasticien de 41 ans, réputé en Chine et qui a déjà exposé à l'étranger.
"Il y a davantage de liberté de création."
A l'époque du règne du fondateur du régime Mao Tsé-toung, l'art était principalement destiné à glorifier l'idéologie communiste.
Le père de Jin Shan, artiste lui aussi, réalisait des affiches de propagande ou des décors de pièces de théâtre officielles. Mais la réforme a desserré les chaînes et ouvert les frontières aux influences étrangères.
"L'attrait de l'art repose sur l'imagination. Sans elle, on ne peux pas produire d'art de qualité", estime Jin Shan, dont les lunettes à grosse monture sont posées sous une mèche rebelle.
La Chine est devenue l'un des plus grands marchés mondiaux de l'art. Certaines oeuvres d'artistes locaux se vendent à des millions d'euros, notamment celles de célébrités comme le trublion Ai Weiwei.
Jin Shan élabore des sculptures en plastique ou en mousse polyuréthane, qui représentent des humains décharnés et entortillés. Une métaphore des bouleversements de l'ère du numérique.
"J'ai l'impression que ça recoupe pas mal de ce que les gens pensent de la vie", déclare-t-il.
Les oeuvres politiques ou dirigées contre le Parti communiste chinois (PCC) au pouvoir restent cependant taboues. Des expositions sont parfois annulées.
"Je ne sculpte pas de figures politiques, donc je ne subis pas vraiment de contraintes. Il y a un certain degré de liberté. Mais ça reste problématique si on fait des choses sensibles", reconnaît Jin Shan.
Pour Yi Heng, l'avènement d'internet a été une bénédiction.
La jeune femme de 29 ans, connue sous le pseudonyme "Nüwang C Cup" ("Reine Bonnet C"), est une blogueuse spécialisée dans l'une des conséquences les plus visibles de l'ouverture de la société: le recul des tabous en matière de sexe.
Sur le réseau social Weibo, elle répond (moyennant finances) aux craintes de ses concitoyens: peur d'être atteint de dépendance sexuelle, détresse après avoir été trompé(e), frustration après un mariage platonique...
Beaucoup de Chinois ont peur d'être anormaux, explique Mme Yi, qui cite certaines de leurs interrogations les plus fréquentes: "Pourquoi les autres ont-elles un orgasme et pas moi?", "Pourquoi est-il si petit?"...
La jeune femme est née à la fin des années 1980, à une période de très fort développement économique, mais où le sexe restait largement tabou.
Les professeurs "évitaient" les cours d'éducation sexuelle, explique-t-elle. Et les parents n'abordaient la question que sous l'angle de la puberté ou de la santé.
Mais internet a tout bouleversé. A l'université, Yi Heng parcourait les sites étrangers spécialisés, à une époque où le web en Chine n'était pas aussi filtré qu'aujourd'hui.
C'était comme "explorer des petites îles autrefois inaccessibles", sourit la blogueuse en se rappelant ces découvertes frivoles.
Même si plusieurs sites et réseaux sociaux étrangers (Google, Facebook, Instagram) sont toujours bloqués en Chine, les gens sont curieux en matière de sexualité et souvent friands de services comme ceux de la "Reine Bonnet C".
Mais si les discussions sur le sexe sont devenues plus banales, des opinions conservatrices persistent.
"Sur internet, plein de gens s'en prennent aux filles qui ne sont plus vierges", souligne Yi Heng.
Et le corps des femmes reste parfois considéré comme un objet, ajoute-t-elle. Une croyance notamment persiste: "celle que quand un homme a de l'argent, il peut disposer d'une femme à sa guise".
Wu'er Kaixi était l'un des plus médiatiques porte-voix des manifestants de la place Tiananmen à Pékin en 1989, après 10 ans de bouleversements économiques.
Aujourd'hui exilé à Taïwan, le militant avait 21 ans lorsqu'il réclamait comme des dizaines de milliers d'étudiants la fin de la corruption et davantage de démocratie.
Mais la répression du mouvement par l'armée (de plusieurs centaines à plusieurs milliers de morts selon les sources) a mis un frein brutal à toute libéralisation politique en Chine.
"On a vu lors des quarante dernières années qu'il n'y a pas vraiment eu d'ouverture et certainement pas de réforme politique", déclare Wu'er Kaixi.
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"Notre espoir de réforme politique, de liberté, et de participation au "gouvernement du peuple" (traduction littérale du mot démocratie en chinois) a été complètement nié depuis 1989."
Pendant le "Printemps de Pékin", Wu'er Kaixi s'était rendu célèbre par une grève de la faim, puis pour avoir interpellé, vêtu d'un pyjama d'hôpital, le Premier ministre de l'époque, Li Peng, lors d'une rencontre télévisée.
Après la répression, recherché par les autorités, il s'était enfui à Hong Kong (alors colonie britannique) puis aux Etats-Unis via la France. Avant d'épouser une Taïwanaise et de s'installer dans l'île -- dirigée depuis 1949 par un régime autonome rival de Pékin.
Désireux de retourner en Chine continentale, il a tenté à plusieurs reprises de "se livrer" aux autorités chinoises au Japon, aux Etats-Unis et à Hong Kong. Mais sans succès.
Contraint de rester à Taïwan, il a tenté deux fois d'être élu au Parlement local. Là encore en vain.
Aujourd'hui, il raille la "naïveté" de l'Occident.
"La réforme politique est quelque chose qui vient de la base de la société, en coopération avec les gens qui sont au pouvoir", explique-t-il. "Le monde occidental doit apprendre que les réformes économiques ne garantissent jamais des réformes politiques".