Négocié en Chine, l’accord annoncé vendredi dernier entre l’Arabie saoudite et l’Iran devrait mettre fin à une rupture de plus de sept ans des relations diplomatiques entre les deux puissances rivales du Moyen-Orient. Ce rapprochement «crée certainement un climat d’optimisme, mais il reste à voir ce qu’il signifie réellement», souligne Dina Esfandiary, analyste du groupe de réflexion International Crisis Group.
Téhéran s’est dit prêt lundi à aller encore plus loin dans la réconciliation, en se rapprochant de Bahreïn, petit royaume du Golfe allié indéfectible de Ryad. Comme l’Arabie saoudite, à majorité sunnite, Bahreïn a suspendu officiellement ses relations avec l’Iran, à majorité chiite, en 2016, après l’attaque en Iran de missions diplomatiques saoudiennes par des manifestants à la suite de l’exécution par Ryad d’un célèbre religieux chiite.
«L’accord ne signifie pas que nous avons trouvé une solution à tous les différends qui nous opposent.»
— Le prince Fayçal ben Farhane, ministre saoudien des Affaires étrangères.
«Nous devrions faire confiance à la voie diplomatique et prendre des mesures dans cette direction», a déclaré le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Nasser Kanani, se félicitant d’une «atmosphère positive».
Des «actions concrètes»
Plus prudent, le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Fayçal ben Farhane, a souligné lundi qu’il restait de nombreux points sensibles à régler. «L’accord sur le rétablissement des relations diplomatiques ne signifie pas que nous avons trouvé une solution à tous les différends qui nous opposent», a-t-il déclaré au journal saoudien Asharq Al-Awsat. «Il s’agit plutôt d’un témoignage de notre volonté commune de les résoudre par la communication, le dialogue et par des voies pacifiques et diplomatiques.»
«Si Téhéran respecte sa part du marché, cela pourrait véritablement changer la donne et ouvrir une ère de paix et de prospérité régionale sans précédent», estime Faisal Abbas, rédacteur en chef du journal Arab News. «Bien sûr, nous n’en sommes qu’au début, il faut une période de confiance et des actions concrètes pour consolider l’accord».
Dans un communiqué conjoint, publié à l’issue de pourparlers en Chine, Téhéran et Ryad «sont convenus de reprendre leurs relations diplomatiques et de rouvrir les ambassades et représentations (diplomatiques) dans un délai maximum de deux mois». Pour le reste, le texte reste assez vague, avec un engagement de chaque partie à respecter la souveraineté de l’autre et à ne pas s’immiscer dans ses «affaires intérieures».
La question du Yémen
La suite des événements au Yémen, où l’Arabie saoudite a pris la tête d’une coalition militaire contre les rebelles Houthis soutenus par l’Iran, permettra d’évaluer plus précisément la portée de ces promesses, estiment les analystes. «Il est plus que probable que les Iraniens aient assuré à la Chine qu’ils s’abstiendraient d’attaquer directement l’Arabie saoudite ou de cibler les infrastructures pétrolières du royaume», souligne Mohammed Alyahya, chercheur saoudien au Belfer Center de l’université américaine de Harvard.
Les installations pétrolières en Arabie saoudite ont subi ces dernières années des attaques de drones et de missiles revendiquées par les rebelles Houthis. «Le maintien de la stabilité dans la région et la protection de la libre circulation du pétrole sont aussi importants pour les Chinois que pour les Saoudiens ou même les Américains », ajoute Mohammed Alyahya, qui dit s’attendre « à ce que les Chinois appuient cet accord ».
Le rapprochement entre Téhéran et Ryad n’est toutefois pas synonyme d’une paix immédiate au Yémen, préviennent les analystes. «Si nous sommes sur le point d’assister à un accord entre l’Arabie saoudite et les Houthis, celui-ci doit servir de base à un dialogue inter-yéménite, sinon nous aurons un problème à l’intérieur du Yémen avec des revendications d’autres parties qui ne sont pas prises en compte», met en garde Dina Esfandiary.
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L’incertitude persiste aussi sur d’autres enjeux dans la région, en Syrie, au Liban et en Irak par exemple, où les deux pays soutiennent des camps rivaux. Mais certains analystes restent optimistes, comme l’Irakien Ali al-Baidar, dont le pays a été victime de la lutte d’influence entre Ryad et Téhéran. «L’Irak est le principal bénéficiaire du rétablissement des liens entre l’Iran et l’Arabie saoudite, ce qui atténuera la pression sur la scène irakienne», s’est félicité M. Baidar sur Twitter.