Quelques nouvelles d’Albanie

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueÀ l’issue de la visite officielle du ministre des Affaires étrangères albanais à Rabat, et des engagements du Maroc et de l’Albanie à renforcer leurs relations bilatérales, l’occasion est donnée de soulever quelques enjeux contemporains autour d’un des plus petits États européens.

Le 08/03/2025 à 10h59

L’Albanie, pays des superlatifs. Seule autarcie d’Europe au XXème siècle, l’Albanie a subi, de 1944 jusqu’à la chute du régime communiste au début des années 90, l’une des pires dictatures au monde. Son jusqu’au-boutisme idéologique l’a amené à rompre progressivement toutes ses alliances, avec la Yougoslavie de Tito dès 1948, avec l’URSS en 1961, jusqu’à la Chine en 1978, pour finir dans un isolement total, livrant les Albanais à toutes les persécutions politiques et religieuses – le régime s’étant déclaré en 1967 premier «État athée» du monde.

Comptant l’un des plus forts taux de migration, l’Albanie entretient des relations étroites avec le premier pays d’accueil de sa diaspora, l’Italie, où les Arberèches, fuyant l’occupation ottomane, représentent la migration albanaise depuis le quinzième siècle. Entre les deux pays, c’est aussi une mer en partage, l’Adriatique, et un passé colonial, l’Italie fasciste a envahi l’Albanie au printemps 1939; le roi Victor-Emmanuel III fut également roi d’Albanie. Aujourd’hui, Rome reste le principal pourvoyeur d’assistance bilatérale pour Tirana, et son partenaire commercial numéro un, à la fois premier fournisseur et fournier client.

Parmi les États européens, la Grèce est le deuxième partenaire commercial; ce qui fait de l’Albanie le partenaire essentiel des pays du sud de l’Europe, parmi les candidats à l’élargissement. Enfin, vingt-cinq ans après le lancement, à Bruxelles, du «processus de stabilisation et d’association pour les Balkans occidentaux», l’Albanie figure dans la short list des pays de la région à pouvoir intégrer l’UE avant la fin de la mandature.

C’est le pari de la Commissaire à l’élargissement: «il est tout à fait possible que nous puissions amener un ou plusieurs pays candidats à l’adhésion à la ligne d’arrivée au cours de ce mandat». Bruxelles est sous pression, les pays sur liste d’attente s’impatientent et il faut trouver un champion. L’Albanie, qui a un statut de pays candidat depuis 2014, est l’un d’eux, peut-être le seul.

Réforme du système judiciaire, lutte contre la corruption et le crime organisé…Si les travaux imposés à Tirana pour rejoindre le club des 27 restent colossaux, l’Albanie a des atouts. Elle n’était pas partie prenante dans la dislocation sanglante de la Yougoslavie, et affiche depuis plus de vingt ans des priorités de politique étrangère embrassant la doxa du moment: volonté d’adhésion à l’OTAN et à l’UE, alignement sur les positions de Washington (soutien à l’intervention américaine en Irak), et contre Moscou (indépendance du Kosovo et assistance militaire à l’Ukraine dès mars 2022). C’est d’ailleurs en 2022 que l’UE a tenu sa première conférence intergouvernementale sur les négociations d’adhésion avec l’Albanie. Bruxelles a ouvert le premier chapitre des négociations en 2024. La même année, Tirana acceptait de relever le «défi migratoire» posé par l’Italie, servant de test à tous les États membres.

Présenté par Rome comme une solution innovante pour gérer les migrants secourus en mer, l’accord signé entre l’Italie et l’Albanie en février 2024 visait à externaliser hors UE une partie du processus d’asile. Sur deux terrains concédés par l’État albanais, l’un à Shëngjin, l’autre à Gjadër, l’Italie finance deux centres, placés sous juridictions italiennes, l’un pour les procédures de débarquement et d’identification, l’autre accueillant les personnes en attente de rapatriement après refus d’entrer sur le territoire italien.

Selon les termes de cet accord, la détention sur le territoire albanais concerne les ressortissants de pays tiers classés comme «sûrs» par le gouvernement italien. Si ce plan a suscité une réaction intéressée des États membres, et le soutien de la présidente de la Commission européenne, c’est un tout autre accueil qui lui a été réservé en Italie: les juges nationaux ont refusé, par trois fois, la détention de migrants dans les centres albanais au motif que les pays d’origine ne pouvaient être considérés comme des pays «sûrs», en contradiction avec les choix du gouvernement. Un droit national peut-il qualifier un pays de «sûr»? Un pays peut toujours être considéré́ comme «sûr» si des menaces pèsent sur certains groupes? Sur certaines régions? Autant de questions soumises à la Cour de Justice de l’UE qui devrait, avant l’été, par ses réponses, décider du sort de l’accord italo-albanais.

Une décision des juges de Luxembourg très attendue à Bruxelles – et dans les capitales européennes– non seulement pour préciser les règles d’externalisation des procédures d’asile, mais aussi pour mesurer, une fois encore, l’emprise de la CJUE sur les États membres. Et compter lesquels d’entre eux s’y refusent.

Par Florence Kuntz
Le 08/03/2025 à 10h59

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