L’Algérie a beau dépenser sans compter pour acheter des armes dernier cri, le plus souvent auprès de la Russie, il n’en demeure pas moins qu’elle manque de ce qui fait l’essentiel, à savoir l’incontournable expérience du terrain, et donc un certain professionnalisme en matière de combat. Cette tare, longtemps maquillée par des exercices qui relèvent davantage du spectacle qu’ils ne préparent une armée à la réalité du terrain, serait l’une des raisons du nouvel amendement de la Constitution visant à permettre à l’armée algérienne de se déployer hors des frontières du pays.
Mardi dernier, au ministère de la Défense, le chef d’état-major par intérim, Saïd Chengriha, entouré des hauts gradés qu’il a récemment nommés à la tête des «services» algériens suite à la purge d'avril dernier qui a ciblé entre autres le général Bouazza Wassini, ex-bras droit d'Ahmed Gaïd Salah, a reçu le président Abdelmadjid Tebboune. Ce dernier était clairement venu manifester publiquement les convergences de vues de l’armée et de la présidence sur la révision constitutionnelle, pourtant décriée par l’opinion publique et l’élite politique algériennes.
Selon les médias locaux, Chengriha a loué le nouveau président algérien pour «avoir fait élaborer un projet de révision de la constitution par des experts en droit constitutionnel en un temps record» et particulièrement la nouvelle disposition permettant à «l’armée nationale d’intervenir en dehors des frontières nationales».
«La disposition en question vise à donner la possibilité pour le président de la République d'envoyer des troupes dans le cadre des opérations de maintien de la paix des Nations unies (casques bleus) et uniquement dans ce cadre», précise l’Agence de presse algérienne, APS.
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Pourtant, la doctrine de «non-ingérence» et le refus d’intervenir «hors des frontières» ont été arborés pendant des décennies comme l’un des principes fondateurs du régime algérien. Qu’est-ce qui explique ce soudain changement de conduite, au point d’engager une révision de la Constitution?
La réponse à cette question se trouve dans le constat de l’impréparation de l’armée algérienne au combat. C’est très commode de faire des shows et des parades, et des exercices tactiques «avec tirs réels», quand il n’y a personne en face pour riposter. Quand elle a été confrontée à la réalité du terrain, l’armée algérienne a montré son impréparation.
Tout le monde a encore en mémoire la spectaculaire attaque terroriste d’In Amenas, le 16 janvier 2013, contre le complexe gazier de Tigentourine, l'un des points névralgiques de l'Algérie, car constituant le fondement même de sa richesse. En effet, comment un pays, dépendant du gaz et du pétrole, qui représentent 96% de ses exportations, près de la moitié de son PIB et 60% des recettes budgétaires de l'Etat, voit un symbole de son économie pris en otage pendant plusieurs jours par un groupe d'une quarantaine de terroristes, venus du Mali ou de la Libye? Où était son armée et ses 150.000 hommes, ses 551 avions militaires, dont 103 chasseurs et 257 hélicoptères, ainsi que ses 7300 véhicules blindés (estimation du Global Fire Power dans son édition de 2020)?
Selon un témoignage, paru voici six années, en janvier 2014, sur la version en ligne du magazine français L'Express, «les djihadistes ont essayé sans succès de faire exploser l'usine… Leur échec est lié à l'action héroïque d'un employé algérien qui a éteint l'interrupteur principal dès que la première alarme a retenti, et à la résistance de plusieurs ingénieurs norvégiens pris en otage dans l'usine, qui ont refusé de remettre la machine en route».
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Or c'est sous le prétexte d'éviter le dynamitage du site gazier par les terroristes, que l'armée a décidé, quatre jours plus tard, d’en donner l’assaut en tirant dans le tas, sans la moindre distinction entre les terroristes et les otages étrangers qu’ils détenaient. Un carnage qui a fait 55 morts (23 otages et 32 terroristes), et a permis à une dizaine de terroristes de s'échapper vers la Libye. Le Japon et la Grande Bretagne, qui ont perdu des ressortissants dans cet assaut, avaient dénoncé l’improvisation et l’incompétence qui ont prévalu dans cette intervention.
Barack Obama, l’ex-président américain, a même mis le doigt sur la défaillance de l’armée algérienne qui n’avait rien vu venir. Il a diplomatiquement promis de coopérer avec l’Algérie pour «mieux comprendre ce qu'il s'est passé afin que nous puissions travailler ensemble pour prévenir de telles tragédies à l’avenir».
En réponse à ce tollé général, les généraux algériens ont utilisé l’attaque d’In Amenas comme alibi pour faire exploser la facture d’achat d’armements durant cette même année 2013, propulsant du même coup leur pays au rang de premier acheteur africain d’armes, avec plus de 10 milliards de dépenses militaires, soit un bond de 176% depuis 2004. Un budget colossal qui a été constamment maintenu, bon an, mal an, au même niveau durant les années suivantes. Selon le Stockholm International Peace Research Institute, les dépenses militaires de l’Algérie en 2019 ont représenté 6% du PIB du pays, soit plus de 10 milliards de dollars.
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Mais cette militarisation à outrance cache mal les multiples défaillances des troupes algériennes, auxquelles manque cruellement l’expérience du terrain. Ajoutons à cela le manque d’entretien des équipements et la formation sommaire du personnel militaire à leur utilisation. Pour s’en convaincre, il suffit de revenir aux nombreux accidents d’avions militaires recensés.
Entre 2000 et 2020, il y a eu en tout 40 accidents aériens militaires en Algérie. En moyenne deux par an, avec un terrible bilan de 407 morts. Rapportée à la taille de la flotte, aucune armée au monde ne déplore autant d’accidents de son aviation. Aucune armée au monde n’a déploré, en 20 ans, 407 morts, tombés sans être engagés dans une mission en terrain hostile.
Dès lors, on comprend l’urgence pour l’armée algérienne d’envoyer officiers et soldats acquérir l’expérience du terrain et se confronter au danger. Un choix bien tardif, pour une armée qui a toujours privilégié la propagande à l’expérience.