Quand l’antisémitisme systémique en Algérie s’exporte en France

Les drapeaux algérien et français. (Photo d'illustration)

L’antisémitisme décomplexé du régime algérien, qui sévit dans les médias, au sein des écoles et jusqu’au sommet de l’appareil étatique, déteint aussi sur les Algériens de l’étranger. Cet antisémitisme, bien antérieur aux attaques du 7 octobre, s’est exacerbé avec la guerre de Gaza et s’exprime désormais hors des frontières de l’Algérie, en particulier au sein de la plus importante communauté algérienne au monde, celle de France. Analyse.

Le 02/09/2024 à 09h00

Samedi 24 août, la synagogue de la Grande Motte, commune de l’Hérault, en France, a été visée par un incendie criminel. Armé d’une hache et d’un revolver, un drapeau palestinien ceignant sa taille, la tête recouverte d’un keffieh, El Hussein Khenfri, un Algérien de 33 ans en situation régulière, arrivé en France en 2018, avait prévu «de commettre un massacre dans la synagogue», relaie l’hebdomadaire Le Point.

Par chance pour les fidèles, celui qui se fantasmait dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux en décembre 2023 en sauveur (de la Palestine), vêtu d’une tenue militaire, prêt à en découvre avec Israël qu’il menace dans un mauvais rap en déclamant «vous allez voir ce que ça vaut, un guerrier algérien», s’était trompé dans les horaires d’ouverture de la synagogue et a déclenché son attaque une demi-heure avant l’office du matin de Shabbat. Il a donc incendié sa voiture, aspergé d’essence un autre véhicule ainsi que les portes closes de la synagogue avant de s’enfuir.

Cet acte terroriste antisémite n’est malheureusement pas un cas isolé en France. Il emboîte le pas à une précédente attaque, perpétrée le 17 mai 2024 contre la synagogue de Rouen. Ce jour-là, un homme muni d’un couteau et d’une barre de fer a incendié le lieu de culte à l’aide d’un cocktail Molotov. Âgé de 29 ans, l’assaillant est aussi un ressortissant algérien, en situation irrégulière en France et placé sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Pour expliquer ces deux dernières attaques en date, commises à quelques mois d’intervalle, le spectre du 7 octobre, date de l’attaque du Hamas contre Israël et du début de la guerre qui a dévasté Gaza, pourrait être rapidement brandi. Mais il convient de ne pas s’y tromper: l’antisémitisme profondément ancré chez des ressortissants de nationalité algérienne biberonnés de longue date à la haine du juif, et érigé en doctrine d’État, est antérieur au 7 octobre. Il est structurel, et non pas conjoncturel.

La cause palestinienne, faux prétexte pour asseoir la haine des Juifs

On ne saurait minimiser l’impact de la banalisation de l’antisémitisme en Algérie, dans les médias, à l’école via les manuels scolaires, au sein des rangs de l’armée, mais aussi en politique, sur ces attaques perpétrées en Occident, principalement en France, pays qui accueille la plus importante communauté algérienne au monde. Car sous couvert de soutien à la cause palestinienne et de haine farouche du «sionisme», c’est de haine des Juifs qu’il est véritablement question.

Dans un entretien accordé au magazine Marianne, le 26 août, au lendemain de l’incendie de la synagogue de la Grande Motte, Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France à Alger et fin connaisseur du pays, met les points sur les i: «L’antisémitisme en Algérie, aujourd’hui, est lié à l’opposition à l’État d’Israël, qui est l’un des vecteurs de la politique étrangère algérienne. L’antisionisme et ‘l’anti-Israël’ ont ‘démocratisé’ l’antisémitisme alors même que la communauté juive était importante dans le pays, ce qui est paradoxal», rappelle ainsi l’ancien diplomate.

Cette haine s’exprimait ainsi déjà en 2012, lorsque le Franco-algérien Mohamed Merah assassinait sept personnes, parmi lesquelles des militaires, un professeur et trois enfants juifs devant l’école Ozar Hatorah à Toulouse. Puis, le 24 mai 2014, c’est au tour de Mehdi Nemmouche, français d’origine algérienne âgé de 33 ans, de perpétrer une tuerie dans le musée juif de Bruxelles où il a fait quatre victimes.

«Aujourd’hui, la détestation d’Israël et la défense des Palestiniens brouillent la frontière entre antisionisme et antisémitisme, les deux notions étant souvent liées. L’enquête le dira, mais je ne serai pas surpris que le suspect de l’attentat de la Grande Motte ait été élevé, en Algérie, avec cette culture algérienne de l’antisionisme, voire d’antisémitisme», renchérit Xavier Driencourt.

Dès lors, le soutien à la cause palestinienne permet de galvaniser les esprits en asseyant des comparaisons tirées par les cheveux entre la Palestine et l’Algérie. On se gargarise ainsi des propos tenus par l’eurodéputée LFI d’origine palestinienne et fervent soutien du Polisario, Rima Hassan, qui déclarait récemment: «Ce que fait Israël à la Palestine n’est pas très différent de ce que la France faisait à l’Algérie». On se plaît aussi à établir des connexions entre les martyrs des uns et les moudjahidine des autres, afin de perpétuer la sacro-sainte rente mémorielle à laquelle s’accroche bec et ongles le «Système» en Algérie.

Antisionisme et antisémitisme, une même doctrine d’État

En Algérie, la menace du sionisme est en effet l’un des messages principaux véhiculés dans des discours politiques belliqueux repris en chœur par les médias. Israël est toujours désigné par cette appellation: «l’entité sioniste», et les juifs sont nommés dans la nomenclature officielle «les sionistes».

Officiellement, le régime ne parle donc pas d’antisémitisme, mais d’antisionisme, en brandissant l’épouvantail d’une prétendue «menace sioniste» qui planerait sur l’Algérie et qui prend les traits de personnalités publiques que l’on jette en pâture.

Dernière démonstration en date, la prise de parole du chroniqueur algérien Mehdi Ghezzar, le 24 août, sur la chaîne TV de propagande du régime d’Alger AL24. Celui qui officiait également sur les ondes de la radio française RMC dans l’émission «Les Grandes Gueules» -avant de se voir priver d’antenne le 28 août après ses propos- s’y est livré à des attaques personnelles à l’encontre du conseiller du roi Mohammed VI, André Azoulay. Présenté à tort comme étant de nationalité israélienne, celui-ci a été calomnieusement désigné sur le plateau de la chaîne algérienne comme l’initiateur d’un décret (qui n’existe pas au demeurant) interdisant aux Marocains «les manifestations pro-Gaza, de parler des victimes de Gaza à la télévision, à la radio et dans les mosquées (…)».

Dans la même veine, Nicolas Sarkozy avait également goûté à ce type de calomnies aux relents antisémites en 2011, à la veille d’une visite d’État en Algérie en sa qualité de Président de la république française. Dans une interview accordée au quotidien El Khabar, Mohamed Chérif Abbas, ministre algérien des Moudjahidine (anciens combattants), employait la même rhétorique en pointant du doigt les origines de l’ancien président et, de fait, ses prétendus liens avec Israël. «Vous connaissez les origines du président français et les parties qui l’ont amené au pouvoir. Ceci était le résultat d’un mouvement qui reflète l’avis des véritables architectes de l’arrivée de Sarkozy au pouvoir, le lobby juif qui a le monopole de l’industrie en France». Un dérapage antisémite qui avait jeté un froid entre Paris et Alger, tout en étant parfaitement assumé côté algérien. Pour preuve, c’est la même rhétorique qu’emploie l’agence de presse algérienne lorsque, le 19 mai 2020, sept députés européens sont qualifiés de «sionistes marocains» et accusés d’être manipulés par un lobby maroco-sioniste dans une dépêche officielle.

De la théorie du complot aux appels à la guerre

Pour mieux asseoir un antisémitisme érigé en doctrine d’État, la junte militaire fait feu de tout bois, des Accords d’Abraham qui ont radicalisé davantage les attaques verbales contre «l’entité sioniste» et ses «représentants», jusqu’aux évènements du 7 octobre pour ne citer que les évènements les plus récents. Mais bien avant cela, le ton était déjà donné… Pour preuve, cette vidéo datant du 1er novembre 2015, où lors d’un exercice de marche ordonnée de la Gendarmerie nationale algérienne, les troupes sont galvanisées par un chant appelant à massacrer les juifs: «Oh Arabes, fils d’Arabes. Marchez et pointez vos armes vers les Juifs. Pour les tuer. Les abattre. Les écorcher. Les égorger…».

L’antisémitisme est si bien implanté que le régime l’utilise comme épouvantail pour évoquer de prétendues menaces qui pèsent sur le pays ou édulcorer les multiples échecs diplomatiques, imputés au «lobby sioniste». Attaquer les sionistes en Algérie, c’est avoir la certitude de galvaniser les foules. Le candidat à sa propre succession, Abdelmajid Tebboune, en a fait la démonstration le 18 août dans un discours prononcé à Constantine, affirmant que l’armée algérienne est prête à intervenir à Gaza si l’Égypte l’autorise à entrer via ses frontières terrestres avec Israël.

«Nous savons ce que nous avons à faire et j’ai pris un engagement et l’armée est prête!», a-t-il lancé le poing serré face à une foule exaltée. Se rendant probablement compte qu’il venait de déclarer la guerre à Israël de façon un peu trop équivoque, le Président et Chef des armées a ensuite atténué ses propos: «Aussitôt qu’on nous ouvre les frontières et qu’on autorise nos bus à entrer, nous construirons dans l’intervalle de 20 jours trois hôpitaux. J’envoie des centaines de médecins et j’aide à reconstruire ce qui a été démoli par les sionistes», a-t-il précisé. Des propos farfelus qui n’ont aucun ancrage dans le réel et n’auront pas de suite, mais qui font de nombreux adeptes algériens du djihadisme contre les Juifs. Ce discours trouve aussi une résonance parmi les Algériens à l’étranger… qui passent malheureusement à l’acte.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 02/09/2024 à 09h00