C'est par un face-à-face des vice-ministres des Affaires étrangères des deux puissances rivales, l'Américaine Wendy Sherman et le Russe Sergueï Riabkov, que s'ouvre cette semaine diplomatique à hauts risques. Elle se poursuivra avec une réunion Otan-Russie mercredi à Bruxelles puis une rencontre jeudi à Vienne de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), pour inclure les Européens qui redoutent d'être marginalisés.
Un haut responsable de la Maison blanche a précisé que les Russes et les Américains «auraient probablement une première conversation dimanche soir», avant de tenir leur «principale réunion lundi» en Suisse.
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Les Occidentaux et Kiev accusent les Russes d'avoir massé près de 100.000 soldats à la frontière ukrainienne en vue d'une potentielle invasion, et ont menacé le président russe Vladimir Poutine de sanctions «massives» et sans précédent s'il attaquait à nouveau le pays voisin.
Des mesures qui pourraient aller jusqu'à couper la Russie des rouages de la finance mondiale ou à empêcher l'entrée en fonctions du gazoduc Nord Stream 2 cher au Kremlin.
Objectif: montrer qu'ils sont plus déterminés cette fois qu'en 2014, lorsque Moscou a annexé la Crimée ukrainienne sans que l'alliance américano-européenne ne parvienne à lui faire faire marche arrière.
Exigences «inacceptables»Le président Poutine, qui s'est entretenu à deux reprises avec son homologue américain Joe Biden depuis le début de cette nouvelle crise, a prévenu que de nouvelles sanctions seraient une «erreur colossale», et a menacé à son tour d'une réponse «militaire et technique» en cas «de maintien de la ligne très clairement agressive» de ses rivaux.
Surtout, il a imposé et obtenu d'élargir le dialogue à plusieurs de ses exigences qui sont pourtant vues comme autant de lignes rouges par l'Occident.
Car le Kremlin affirme que c'est l'Occident qui provoque la Russie en stationnant des militaires à ses portes ou en armant les soldats ukrainiens qui combattent des séparatistes prorusses dans le Donbass, dans l'est de l'Ukraine. Il réclame donc un grand traité excluant l'entrée de l'Ukraine dans l'Otan et le retrait des soldats américains des pays les plus orientaux de l'Alliance atlantique.
Or, non seulement les Américains assurent ne pas être prêts à réduire leurs effectifs en Pologne ou dans les pays baltes, mais ils menacent au contraire de les renforcer si les Russes passaient à l'offensive.
«Le risque d'un nouveau conflit est réel», a prévenu vendredi le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg, relevant que Moscou avançait des exigences «inacceptables» tout en multipliant les menaces si elles «ne sont pas acceptées».
«Cela fait certainement partie de leur stratégie de présenter une liste d'exigences absolument irrecevables et ensuite prétendre que l'autre camp ne joue pas le jeu et utiliser cela comme une justification pour une agression», a renchéri le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken.
Mais il a assuré que les Etats-Unis ne se laisseraient «pas distraire» par le «débat sur l’Otan» réclamé par Vladimir Poutine, car «le sujet brûlant» est «son agression contre l’Ukraine».
L'Europe veut participerTout en estimant qu'il serait «très difficile de faire de vrais progrès» avec «un pistolet sur la tempe de l’Ukraine», le secrétaire d'Etat américain a tendu la main à la Russie, assurant qu'une «solution diplomatique» était «encore possible» si elle le voulait.
Pour John Herbst, ex-ambassadeur américain en Ukraine, le déploiement militaire russe est un «gigantesque bluff» de Vladimir Poutine pour décrocher des concessions.
«Tant que l'administration Biden reste au moins aussi ferme qu’actuellement», a dit cet expert du cercle de réflexion Atlantic Council, «cela devrait suffire à retenir Poutine d'envahir l'Ukraine, mais je n'exclus pas une opération plus limitée».
Au-delà de la crise ukrainienne, Washington espère profiter des pourparlers pour remettre les relations américano-russes, au plus bas depuis la fin de la Guerre froide, sur des rails plus prévisibles. Et peut-être obtenir des progrès sur d'autres dossiers, comme le désarmement.
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Mais de Paris à Berlin en passant par Bruxelles, les appels se sont multipliés pour faire une vraie place à la table des négociations pour les pays du Vieux Continent, et plus particulièrement pour l'Union européenne -face au Kremlin qui semble vouloir privilégier le tête-à-tête russo-américain.
Un test pour les Etats-Unis de Joe Biden, qui, malgré les promesses de concertation, ont échaudé leurs alliés européens en donnant l'impression de faire cavalier seul sur l'Afghanistan ou la stratégie anti-Chine. «Il n'y aura rien sur l'Europe sans l’Europe», a promis Antony Blinken.