Les futurs combats de Boualem Sansal

Mustapha Tossa.

ChroniqueIl reste tout de même des inconnues dans la future et inévitable communication de Boualem Sansal. La raison pour laquelle il a été arrêté touchait à ses déclarations selon lesquelles une grande partie de l’ouest algérien appartenait au Maroc avant que les ciseaux de la France coloniale n’en décident autrement. Sansal va-t-il continuer à défendre cette vérité historique dans les médias français?

Le 24/11/2025 à 15h55

C’est le grand frisson politique du moment de la relation entre la France et l’Algérie. Que va faire Boualem Sansal une fois installé dans sa nouvelle liberté en France? Va-t-il observer une forme d’abstinence contrainte des libérés sous conditions des geôles algériennes? Ou va-t-il donner libre cours à sa verve et à son imagination d’écrivain pour crever l’abcès de son inique arrestation?

Quelques jours seulement après son arrivée en France, Boualem Sansal dégoupille trois interviews, une avec la chaîne France 2, l’autre avec la radio France Inter et la troisième avec le journal Le Figaro. Dans les trois sorties médiatiques, apparemment encadrées par l’Élysée et la maison d’édition Gallimard, Boualem Sansal a affirmé qu’il n’était pas libre de livrer tout ce qu’il pense de la relation entre la France et l’Algérie.

Il parait clair que dans la tentative française de le libérer, sous-traitée par les Allemands, cette question du silence et de la réserve dans l’expression de Boualem Sansal a certainement été évoquée. Le contraire aurait été étonnant de la part d’un régime qui avait élevé la susceptibilité au sommet de ses perceptions des enjeux de pouvoir et d’image. Boualem Sansal a d’ailleurs, comme il l’avait confié à son compatriote Kamel Daoud, refusé de s’engager à ne pas évoquer la tragédie qu’il vient de subir pendant une longue année comme monnaie d’échange à sa libération.

Pour un écrivain comme Boualem Sansal, une incarcération avec autant de rebondissements et de tensions, avoir été au cœur d’un bras de fer inédit entre Paris et Alger, avoir été le centre d’une attention et d’une sollicitation, voire d’une solidarité mondiale, est une inépuisable source d’inspiration. À raconter avec la volubilité d’un écorché vif, dans un livre, une grande interview ou un documentaire. Les sorties médiatiques de Boualem Sansal sont inévitables. Toute la question est de savoir autour de quels axes, l’ancien prestigieux otage du système carcéral algérien va établir sa communication vengeresse et sa volonté de purger les abcès.

Au cours des premiers jours de sa libération et malgré son accueil à l’Élysée, l’apparition de Boualem Sansal n’avait pas eu cet effet de communication spectaculaire propre au sentiment de délivrance lié à la libération des otages, notamment les plus prestigieux. Il n’y a pas eu d’images de Boualem Sansal avec Emmanuel Macron à l’Élysée. Et c’est sans aucun doute une stratégie volontaire de la part d’Emmanuel Macron. L’idée derrière est de ne verser ni dans la provocation ni dans le triomphalisme qui pourraient mettre le régime algérien dans une immense gêne face à son opinion, lui qui avait basé toute sa communication sur le fait qu’il avait cédé Boualem Sansal aux Allemands pour «des raisons humanitaires» et non aux Français. Pour Tebboune, le céder directement à Paris équivalait à s’agenouiller devant Canossa.

«Les droits de l’Homme, la nécessité de rendre le pouvoir aux civils, de mettre fin à la prédation économique (...) seront autant d’angles d’attaques qui transformeraient Boualem Sansal en un cauchemar médiatique et politique vivant du régime algérien»

—  Mustapha Tossa

Cette démarche précautionneuse française sur Boualem Sansal s’explique par deux raisons. La première réside dans le fait que la diplomatie française travaille en ce moment pour la libération de l’autre otage français, le journaliste sportif Christophe Gleizes accusé d’avoir entretenu des relations avec le mouvement indépendantiste kabyle, le MAK. Le procès en appel de C. Gleizes est programmé pour les débuts de décembre prochain. Et à Paris, l’espoir est fortement nourri de voir dans la foulée une grâce présidentielle algérienne qui ramènerait C. Gleizes à sa famille en France. D’ailleurs le maintien arbitraire du journaliste sportif français dans les geôles algériennes après la libération de Boualem Sansal viderait de toute sa substance la stratégie de la décongélation à laquelle se livre le régime algérien depuis qu’il a compris qu’il n’avait d’autres choix que de sortir de l’isolement dans lequel sa politique agressive l’avait enfermé.

La seconde raison est que Paris voudrait profiter de cette évolution pour remettre sur les rails sa coopération avec Alger sur deux préoccupations essentielles à sa sécurité: la lutte contre le terrorisme et la gestion de l’immigration clandestine, notamment algérienne.

Il reste tout de même des inconnues dans la future et inévitable communication de Boualem Sansal. La raison pour laquelle il a été arrêté touchait à ses déclarations selon lesquelles une grande partie de l’ouest algérien appartenait au Maroc avant que les ciseaux de la France coloniale n’en décident autrement. Sansal va-t-il continuer à défendre cette vérité historique dans les médias français? Avec quels impacts et quels messages politiques en le faisant, il participerait à un débat d’une grande sensibilité à un moment clef de l’histoire de cette région où le dossier du Sahara marocain est en train de vivre sa période de clôture. D’ailleurs dans ses sorties médiatiques, Sansal a tenu à en souligner les vraies raisons. Son arrestation et son emprisonnement sont le fruit de ce bras de fer que le régime algérien voulait livrer à la France pour la contraindre de changer de position sur le Sahara marocain.

L’autre combat que pourrait incarner Boualem Sansal est celui de se transformer en un acteur efficace, crédible et audible qui exige que les prisons algériennes soient vidées de leurs hôtes, notamment les prisonniers politiques et d’opinion. Il est de notoriété publique que «la nouvelle Algérie» qui s’est installée depuis l’arrivée du président Abdelmadjid Tebboune est devenue une prison à ciel ouvert dans laquelle un simple post sur les réseaux sociaux peut vous valoir des années d’incarcération.

Logiquement Boualem Sansal ne s’interdira pas la possibilité d’utiliser tous les leviers pour exercer un maximum de pression sur un régime qui l’avait injustement incarcéré. Les droits de l’Homme, la nécessité de rendre le pouvoir aux civils, de mettre fin à la prédation économique qui caractérise la gouvernance algérienne seront autant d’angles d’attaques qui transformeraient Boualem Sansal en un cauchemar médiatique et politique vivant du régime algérien. Sansal en prison était un lourd fardeau pour le régime algérien. Sansal libre pourrait devenir son pire cauchemar.

Par Mustapha Tossa
Le 24/11/2025 à 15h55