La conférence était censée apporter un peu de sens aux délires sans consistance d’une heure et demie du chef présumé de l’État. Non seulement il n’en a rien été, mais la «démonstration» n’a fait que densifier et apporter la preuve du brouillard dans lequel nage le régime d’Alger. Ainsi en est-il allé de la conférence de presse donnée, le lundi 30 décembre dernier, par le ministre algérien des Affaires étrangères Ahmed Attaf. Quand il n’agaçait pas en bafouillant et ne lassait pas en parlant pour ne rien dire, le responsable algérien irritait. À ce dernier propos, c’était bien le cas chez son voisin malien. C’est à croire qu’à chaque fois que la diplomatie algérienne s’aventure à prendre franchement position, elle a le talent d’énerver.
Prié officiellement, à plusieurs reprises et de toutes les manières possibles et imaginables, par les autorités maliennes de ne pas s’immiscer dans les affaires internes de ce pays, le régime d’Alger semble ne vraiment pas comprendre. Et pour cause, lors de sa regrettable sortie, le ministre des Affaires étrangères algérien a trouvé le moyen de faire un énième et légendaire hors-piste. Ahmed Attaf a réaffirmé la position de son pays en faveur d’une solution politique au Mali, rejetant «l’option militaire», qu’il considère comme vouée à l’échec. «La solution militaire est impossible au Sahel et au Sahara, notamment au Mali, car elle a été tentée à trois reprises par le passé et a échoué », a-t-il soutenu.
Pour les caporaux, seule sa médiation dans le cadre des Accords d’Alger constitue une solution viable. «L’Algérie n’acceptera pas que des mouvements politiques [séparatistes] signataires des Accords d’Alger, soient présentés comme terroristes...ces groupes sont ceux avec lesquels le Mali négociera dans le futur. La reprise des négociations et de la médiation algérienne sont inéluctables», a-t-il encore affirmé.
«Profonde stupeur»
Si Alger s’agite la sorte, c’est parce que «la solution militaire» n’est autre que des opérations menées par le gouvernement de transition malienne contre des groupes armés derrière lesquels se cacherait l’Algérie. Et c’est aussi parce que le pouvoir en place au Mali avait décidé, en janvier 2024, de mettre «fin, avec effet immédiat» à l’accord d’Alger, signé en 2015 et considéré comme moribond depuis la reprise en 2023 des hostilités contre l’État central et l’armée malienne par les groupes armés à dominante touareg du Nord. Une insurrection supplantée depuis par des groupes islamistes radicaux soutenus selon Bamako par le régime d’Alger.
Mais quelle mouche a donc (re)piqué le régime d’Alger? On n’en saura rien, si ce n’est que cette énième provocation algérienne à l’égard du Mali n’est pas passée. Dans un communiqué rendu public mercredi 1er janvier, le ministère malien des Affaires étrangères exprime sa «profonde stupeur» devant les propos de Attaf «commentant à nouveau la stratégie malienne de lutte contre le terrorisme».
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Pour la diplomatie malienne, cette posture confirme «la proximité et la complicité de l’Algérie avec les groupes terroristes qui déstabilisent le Mali et à qui elle a offert le gîte et le couvert, tout en contrôlant leurs actions criminelles contre les populations civiles maliennes et du Sahel». Une position déjà exprimée par Bamako dans un communiqué daté du 25 janvier 2024.
Le Mali voit dans la déclaration d’Ahmed Attaf l’échec de la pression exercée par l’Algérie sur des groupes terroristes qu’elle soutient, un échec qui a «du mal à passer chez certains responsables algériens, nostalgiques d’un passé révolu».
Actes d’ingérence persistants
Le gouvernement malien de transition réitère sa préoccupation et condamne «avec la dernière vigueur» ce qu’il qualifie de persistance algérienne à poursuivre les actes d’ingérence dans les affaires intérieures de la République du Mali, «empreints de paternalisme, de condescendance et de mépris». Et de préciser les options stratégiques pour la lutte contre les groupes armés terroristes, soutenus du reste par des sponsors étatiques étrangers, relèvent exclusivement de la souveraineté du Mali et des choix de la Confédération des États du Sahel. «En la matière, le Mali n’est ni demandeur ni preneur de leçons de la part de l’Algérie, qui a conduit, dans un passé récent, en toute souveraineté, sa lutte contre le terrorisme».
Le régime d’Alger est par là même prié de recentrer son énergie sur la résolution de ses propres crises et contradictions internes, y compris la question kabyle, et à cesser de faire du Mali un levier de son positionnement international. «Au regard de la sympathie non dissimulée des autorités algériennes à l’égard des groupes terroristes opérant au Mali et au Sahel, le ministère réitère la ferme opposition du Mali à toute forme d’implication de l’Algérie dans ses affaires intérieures et ne permettra à aucun acteur extérieur de mener une stratégie éculée de pompier pyromane», lit-on.
«Énergumènes diplomatiques»
Ce n’est pas la première fois qu’une telle riposte se fait entendre de la part de Bamako. En septembre dernier, considérant que le Mali est une arrière-cour de son pays, l’ambassadeur algérien à l’ONU, Amar Bendjama, avait réagi contre une opération de l’armée malienne, épaulée par des éléments du groupe paramilitaire russe, Africa Corps, contre des groupes armés dans l’extrême nord du Mali. Le diplomate algérien s’était alors plaint du «danger de la technologie» utilisée par l’armée malienne (des drones), mais aussi des «armées privées auxquelles font appel certains pays sans qu’ils soient interpellés».
La réponse malienne à l’ingérence algérienne dans ses affaires intérieures ne s’est pas fait attendre. Issa Konfourou, ambassadeur représentant permanent du Mali à l’ONU, a répliqué en accusant l’Algérie de «soutenir et de faire la propagande pour des groupes terroristes». En effet, selon lui, c’est l’Algérie qui pourrait avoir fourni la logistique militaire et permis à des experts militaires ukrainiens d’encadrer et d’entraîner les groupes de rebelles touareg.
Cela fait plusieurs mois que rien ne va plus entre l’Algérie et le Mali, dans le sillage de l’abrogation définitive, par les autorités maliennes, de l’Accord d’Alger de 2015. Censé rétablir la paix entre le gouvernement central de Bamako et les rebelles touareg, cet accord, dont les objectifs n’ont jamais été atteints, s’est révélé a contrario comme un outil d’ingérence algérienne dans les affaires intérieures du Mali. Son abrogation a déclenché une crise ouverte entre les deux pays voisins, aggravée par la succession d’actes inamicaux ourdis par le régime algérien à l’encontre du pouvoir malien.
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L’épisode le plus spectaculaire des tensions algéro-maliennes s’est déroulé le 28 septembre dernier, lors de la 79ème session de l’Assemblée générale de l’ONU. Du haut de la tribune onusienne, le vice-Premier ministre et ministre d’État malien, Abdoulaye Maïga, avait accusé l’Algérie de servir de base arrière aux terroristes qui ensanglantent son pays. Et c’est pour commenter le déni de cette réalité par le régime algérien qu’Abdoulaye Maïga n’a pas hésité à qualifier Ahmed Attaf et Amar Bendjama d’«énergumènes diplomatiques». Extrait: