Aux côtés de Lafarge, absorbé en 2015 par le groupe suisse Holcim, comparaîtront devant le tribunal correctionnel de Paris l’ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté, ainsi que deux intermédiaires syriens, dont l’un fait l’objet d’un mandat d’arrêt international et devrait donc être absent au procès.
Dans ce dossier, ils devront répondre du financement d’une entreprise terroriste et, pour certains, du non-respect de sanctions financières internationales.
Le groupe est soupçonné d’avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), plusieurs millions d’euros à des groupes rebelles jihadistes, dont certains, comme l’EI et Jabhat al-Nosra, classés « terroristes », afin de maintenir l’activité d’une cimenterie à Jalabiya, dans le nord du pays.
La société avait investi 680 millions d’euros dans ce site, dont la construction a été achevée en 2010.
Plaintes
Alors que les autres multinationales avaient quitté le pays en 2012, Lafarge n’avait évacué cette année-là que ses employés de nationalité étrangère, maintenant l’activité de ses salariés syriens jusqu’en septembre 2014, date à laquelle l’EI a pris le contrôle de l’usine.
Dans ce laps de temps, LCS aurait rémunéré des intermédiaires pour s’approvisionner en matières premières auprès de l’EI et d’autres groupes, et pour que ceux-ci facilitent la circulation des employés et des marchandises.
L’information judiciaire avait été ouverte à Paris en 2017, après plusieurs révélations médiatiques et deux plaintes déposées en 2016: l’une du ministère de l’Économie pour violation d’embargo, l’autre par plusieurs associations et onze anciens salariés de LCS pour financement du terrorisme.
Le nouveau groupe, né de la fusion de 2015, qui a toujours affirmé ne rien avoir à voir avec les faits antérieurs à cette opération, avait entre-temps lancé une enquête interne.
Confiée aux cabinets d’avocats américain Baker McKenzie et français Darrois, elle avait conclu en 2017 à des «violations du code de conduite des affaires de Lafarge».
En octobre 2022, Lafarge SA avait plaidé coupable aux États-Unis d’avoir versé à l’EI et Jabhat al-Nosra près de 6 millions de dollars, et accepté une sanction financière de 778 millions de dollars.
Une décision dénoncée par plusieurs prévenus du dossier français, à commencer par Bruno Lafont, qui conteste avoir été informé des paiements aux groupes terroristes.
Plus de 200 parties civiles
Selon ses avocats, ce plaider-coupable, sur lequel s’appuient en partie les juges d’instruction français dans leur ordonnance, constitue «une atteinte criante à la présomption d’innocence, qui jette en pâture les anciens cadres de Lafarge» et avait «pour objectif de préserver les intérêts économiques d’un grand groupe».
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Pour la défense de l’ex-PDG, le procès permettra d’«éclaircir» plusieurs «zones d’ombre du dossier», notamment le rôle des services de renseignement français.
Les magistrats instructeurs ont estimé que si des remontées d’informations avaient eu lieu entre les responsables sûreté de Lafarge et les services secrets sur la situation autour du site, cela ne démontrait «absolument pas la validation par l’État français des pratiques de financement d’entités terroristes mises en place par Lafarge en Syrie».
Au total, 241 parties civiles se sont constituées. «Plus de dix ans après les faits, les anciens salariés syriens pourront enfin témoigner de ce qu’ils ont enduré: les passages de check-points, les enlèvements et la menace permanente planant sur leurs vies», souligne Anna Kiefer, de l’ONG Sherpa.
Lafarge encourt jusqu’à 1,125 million d’euros d’amende pour financement du terrorisme. Pour la violation d’embargo, l’amende encourue est beaucoup plus lourde, pouvant atteindre jusqu’à dix fois le montant de l’infraction retenue par la justice.
Un autre volet du dossier est toujours en cours d’instruction, le groupe ayant également été inculpé pour complicité de crimes contre l’humanité en Syrie et en Irak.










