Alors que la France est confrontée depuis janvier 2015 à une série d'attentats islamistes, la justice s'apprête à remonter le temps vers d'autres décennies de plomb, celles des années 1970 et 1980 où l'Europe fut la cible d'attaques anti-impérialistes menées au nom de la défense de la cause palestinienne.
Figure du terrorisme internationaliste de cette époque, Ilich Ramirez Sanchez, dit Carlos, 67 ans, va être jugé pendant trois semaines à Paris par une cour spécialement composée de magistrats pour l'attentat le plus ancien que lui reproche la justice française, le dernier pour lequel il comparaîtra en France.
Le 15 septembre 1974 en fin d'après-midi, deux personnes avaient été tuées et 34 autres blessées dans l'explosion d'une grenade lancée dans l'enceinte de l'ancien Drugstore Publicis, une galerie marchande à l'angle du boulevard Saint-Germain et de la rue de Rennes, au coeur de Paris.
Incarcéré en France depuis son arrestation au Soudan par la police française en 1994, Carlos a déjà été condamné à deux reprises à la réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre de trois hommes, dont deux policiers en 1975 à Paris et pour quatre attentats à l'explosif qui avaient fait onze morts et près de 150 blessés en 1982 et 1983, à Paris, Marseille et dans deux trains.
"Enfin un procès! Les victimes attendent depuis si longtemps que Carlos soit déclaré coupable et condamné, leurs plaies ne se sont jamais refermées", salue Me Georges Holleaux, représentant de 18 des 30 parties civiles du procès, dont les veuves des deux hommes tués dans l'attentat.
"Quel est l'intérêt de faire ce procès si longtemps après les faits. C'est extravagant. Mon client se pose lui aussi la question de l'objectif poursuivi", dénonce de son côté l'avocate de Carlos, Me Isabelle Coutant-Peyre, rappelant que son client conteste être l'auteur des faits pour lesquels il est poursuivi, notamment pour "assassinats en relation avec une entreprise terroriste".
La tenue de ce procès a été contestée par la défense qui invoquait la prescription des faits. Mais au terme d'une bataille procédurale, la justice a rejeté l'argument, estimant que cette prescription a été interrompue par les actes de procédure accomplis dans les autres dossiers de Carlos, les faits s'inscrivant "dans la persévérance d'un engagement terroriste".
Dans une interview parue fin 1979 dans le magazine Al Watan Al-Arabi, Carlos avait reconnu avoir jeté la grenade. Mais il a contesté lors de l'instruction avoir donné cet entretien.
Pour l'accusation, l'attentat s'inscrivait dans le contexte d'une prise d'otages en cours à l'ambassade de France à La Haye. Un commando de l'Armée rouge japonaise (ARJ), émanation du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) dont Carlos était membre de la branche "opérations spéciales", exigeait la libération d'un de ses membres interpellé à l'aéroport de Paris-Orly deux mois plus tôt.
Cet homme convoyait des documents sur des projets d'enlèvements avec demande de rançon, de directeurs de filiales d'entreprises japonaises établies en Europe, destinés à financer l'ARJ.
Maître d’œuvre de la prise d'otages de La Haye, Carlos aurait pris l'initiative de jeter la grenade pour faire plier le gouvernement français. Il parvint à ses fins, le détenu japonais fut libéré et put rejoindre Aden (Yémen) avec les autres membres du commando de La Haye.
L'accusation se fonde également sur les témoignages d'anciens compagnons de route de Carlos, dont l'ancien révolutionnaire allemand Hans-Joachim Klein, à qui le Vénézuélien aurait confié vouloir "mettre la pression pour la libération du japonais".
Les enquêteurs ont aussi reconstitué le circuit de la grenade utilisée pour l'attentat, qui provenait du même lot, volé en 1972 dans un camp militaire américain, que celles utilisées par les preneurs d'otages de La Haye ou celle découverte à Paris chez la maîtresse de Carlos.