Fondée en 1764 et membre de l’Ivy League, Brown University est un symbole d’excellence académique américaine, ce qui rend cette violence d’autant plus choquante pour la nation. Le campus, habituellement paisible, de Providence, réputé pour son atmosphère intellectuelle et progressiste, s’est transformé en scène de crime, rappelant que nul lieu n’est épargné par le fléau des armes à feu.
Sur les neuf étudiants blessés, huit l’ont été grièvement mais sont dans un état stable, a déclaré, lors d’une conférence de presse, Brett Smiley, le maire de Providence, capitale du petit État du Rhode Island (nord-est). Les services médicaux d’urgence ont déployé un dispositif exceptionnel, avec plusieurs hélicoptères médicalisés ayant transporté les victimes les plus graves vers les centres de traumatologie de la région. Les familles des étudiants affectés ont été progressivement informées, plongeant de nombreux foyers américains dans l’angoisse.
«C’est hélas un jour comme la ville de Providence et l’État du Rhode Island priaient pour qu’il n’arrive jamais», s’est lamenté l’élu, en référence aux drames réguliers provoqués par les armes à feu à travers les États-Unis. Le gouverneur du Rhode Island, Dan McKee, a quant à lui déclaré: «Notre communauté académique est meurtrie, mais elle se montrera résiliente.» Des veillées spontanées se sont organisées en bordure du campus, où étudiants et professeurs ont allumé des bougies et déposé des fleurs.
Lors d’une seconde conférence de presse dans la soirée, Brett Smiley a précisé que l’auteur des coups de feu n’avait pas encore été appréhendé et que plus de 400 membres des forces de l’ordre avaient été déployés. Des unités spécialisées du FBI et de l’ATF (Bureau de l’alcool, du tabac, des armes à feu et des explosifs) ont été dépêchées sur place pour assister la police locale dans ce qui est devenu la plus grande opération de recherche de l’histoire récente de l’État.
À 22 h 00 samedi soir (03 h 00 GMT dimanche), l’ordre de rester confiné à l’intérieur des bâtiments restait en vigueur pour la zone autour de l’université. Plusieurs résidences étudiantes et bâtiments académiques sont restés bouclés pendant plus de douze heures, certains étudiants décrivant sur les réseaux sociaux une attente «terrifiante» et «interminable», avec pour seule information les alertes par SMS de l’administration universitaire.
Selon Frank Doyle, un responsable de l’établissement Brown, les tirs ont eu lieu dans le bâtiment d’ingénierie et de physique, où se déroulaient des examens. Ce détail ajoute une dimension particulièrement cruelle au drame, les victimes étant prises au piège lors d’un moment déjà stressant de leur vie académique. Les psychologues universitaires soulignent que cet élément créera probablement un traumatisme durable chez de nombreux témoins.
«Prier pour les victimes»
La police a rendu publique une vidéo où l’auteur présumé des faits sort du bâtiment, vêtu d’habits sombres. Des témoins ont rapporté qu’il portait également «un masque de camouflage gris», a précisé le chef adjoint de la police de Providence, Tim O’Hara, appelant des témoins à apporter toute information utile à l’enquête. La vidéo, d’une qualité remarquable, montre un individu semblant agir avec une détermination méthodique, ce qui interroge les enquêteurs sur une éventuelle préméditation.
Aucune arme n’a été, pour l’instant, retrouvée par les autorités. Ce fait inhabituel complique considérablement l’enquête et alimente les spéculations sur la possibilité que le tireur ait eu des complices ou ait préparé sa fuite avec une minutie particulière. Les forces de l’ordre explorent notamment la piste d’un véhicule de location repéré quittant les environs du campus peu après la fusillade.
Lire aussi : États-Unis: au moins quatre morts et dix blessés lors d’une fusillade en Californie
Donald Trump a déclaré, sur sa plateforme Truth Social, avoir été informé de la situation et que la police fédérale, le FBI, était sur place. L’ancien président, qui fait campagne pour un retour à la Maison Blanche, a immédiatement politisé l’événement, affirmant sans preuve que «si des étudiants ou des professeurs avaient été armés, ce carnage aurait pu être évité ou limité».
Après avoir affirmé dans un premier temps que le suspect avait été arrêté, le président américain a publié un second message dans lequel il a déclaré que la police locale était revenue sur cette annonce. «Le suspect n’a PAS été arrêté», a-t-il précisé. Cette confusion a suscité des critiques sur la communication des autorités et a semé le doute parmi les familles des étudiants.
À son retour à la Maison Blanche, après avoir assisté à un match de football américain universitaire, Donald Trump a déclaré: «Quelle chose terrible». «Tout ce que nous pouvons faire pour le moment, c’est prier pour les victimes», a-t-il ajouté. Le président a annoncé qu’il se rendrait à Providence dans les prochains jours, suivant un rituel devenu malheureusement familier pour les commandants en chef américains confrontés à ces tragédies nationales.
Fléau récurrent et impuissance politique
Avec plus d’armes à feu en circulation que d’habitants, les États-Unis affichent le taux de mortalité par armes à feu le plus élevé de tous les pays développés. Les chiffres sont accablants: environ 120 armes pour 100 habitants, contre 12 en moyenne dans les autres pays riches, selon le Small Arms Survey. Cette profusion rend tout contrôle extrêmement complexe dans une nation où la culture des armes est profondément ancrée.
Les tueries sont un fléau récurrent que les gouvernements successifs n’ont, jusqu’à présent, pas réussi à endiguer, de nombreux Américains restant très attachés au port d’armes, garanti par la Constitution. Le Deuxième Amendement, adopté en 1791 dans un contexte historique radicalement différent, continue de structurer un débat national paralysé, où chaque tragédie s’accompagne des mêmes échanges stéréotypés entre partisans et opposants au contrôle des armes.
En 2024, plus de 16.000 personnes, sans compter les suicides, ont été tuées par arme à feu, selon l’ONG Gun Violence Archive. Ces chiffres, qui incluent des homicides, des accidents et des interventions policières, témoignent d’une violence endémique qui dépasse le cadre des seules tueries de masse médiatisées. Les chercheurs notent que les campus universitaires, longtemps relativement épargnés, connaissent une augmentation inquiétante de ces incidents ces dernières années.
L’histoire américaine récente est jalonnée de tueries, sans qu’aucun lieu de la vie quotidienne ne semble à l’abri, de l’entreprise à l’église, du supermarché à la discothèque, de la voie publique aux transports en commun. Cette ubiquité de la violence armée crée un sentiment d’insécurité permanent, avec des formations désormais routinières dans les écoles, les entreprises et les universités pour se préparer à l’éventualité d’une attaque.
Parmi tous ces massacres, ceux commis en milieu scolaire ou visant des enfants marquent plus fortement la mémoire collective. En 2022, la ville d’Uvalde, au Texas (sud), avait été profondément endeuillée par une tuerie dans une école primaire, au cours de laquelle 19 élèves et deux professeurs étaient morts. Le traumatisme d’Uvalde, amplifié par les dysfonctionnements dans l’intervention policière, avait suscité des promesses de réformes législatives qui sont largement restées lettre morte au niveau fédéral.
Une communauté universitaire sous le choc
À Brown, la communauté commence le douloureux processus de deuil. L’université a annoncé l’annulation de tous les cours pour la semaine à venir et a mis en place un numéro d’urgence pour les familles. Les services de soutien psychologique sont en état d’alerte maximale, sachant que les effets traumatiques de tels événements peuvent se manifester pendant des mois, voire des années.
Alors que l’enquête se poursuit et que la nation observe, une fois de plus, le déroulement d’un scénario devenu terriblement familier, la fusillade de Brown University pose une question lancinante: combien de vies académiques faudra-t-il sacrifier avant que les États-Unis ne trouvent un équilibre entre liberté et sécurité dans leur rapport aux armes à feu? Pour les familles des victimes de Providence, cette question n’est plus théorique, mais constitue désormais le fondement d’une douleur qui ne les quittera plus.












