La dernière décision de Bank Al-Maghrib (BAM) de réduire le taux directeur de 2,5% à 2,25% a de quoi interpeller. D’autant plus que, contrairement aux perspectives rassurantes de notre banque centrale, la plupart des citoyens perçoivent un écart tangible entre les prix qu’ils constatent sur les marchés et l’optimisme de BAM.
Ce phénomène a d’ailleurs été abordé non sans humour par le wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, qui a avoué que son épouse avait fait le même constat. L’argument avancé était qu’il y avait certes une différence entre l’inflation calculée, qui est une moyenne par rapport à un panier constitué d’une pluralité de biens, et l’inflation ressentie par les citoyens, car cette dernière porte essentiellement sur les matières alimentaires et énergétiques.
Pour les initiés, c’est-à-dire les économistes, cette réponse est claire et amplement suffisante. Mais pour le commun des mortels, qui n’a tout au plus que quelques notions économiques, des interrogations légitimes émergent. Nous allons essayer de les étayer ici dans la mesure du possible.
Premièrement, il est impératif de faire un distinguo entre «inflation» et «hausse des prix». La première est éminemment monétaire, comme l’a dit le prix Nobel d’économie Milton Friedman: «L’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire, en ce sens qu’elle est et qu’elle ne peut être générée que par une augmentation de la quantité de monnaie plus rapide que celle de la production».
Dit plus simplement, quand il y a plus d’argent dans l’économie que de biens produits et que l’on peut acheter, les prix de ces derniers augmentent du fait de l’asymétrie qui apparaît entre la demande (l’argent) et l’offre (les biens produits).
Mais si l’inflation se traduit souvent par une hausse généralisée et durable des prix, ce n’est pas toujours le cas. Nous pouvons citer comme exemple la politique monétaire menée par la Réserve fédérale américaine à partir de 2008 qui, malgré la création de plusieurs centaines de milliards de dollars en un temps record, au moment même où la richesse créée diminuait, les prix aux États-Unis n’ont pas connu une hausse généralisée.
L’explication est simple. Cette énorme masse monétaire créée ex nihilo ne s’est pas diffusée au sein de l’économie réelle, mais est allée alimenter les grands mouvements spéculatifs sur les marchés des actions, générant une hausse artificielle de la valeur des entreprises cotées en bourses qui ne correspondait en rien à leur valeur réelle. Autrement dit, entre 2008 et 2010, il y avait bel et bien une inflation aux États-Unis, non pas au niveau de l’économie réelle, mais au niveau des marchés financiers.
«Si Bank Al-Maghrib est certes responsable de la maîtrise de l’inflation, concernant la hausse des prix, c’est au gouvernement qu’il faut s’adresser.»
Or, au Maroc, la hausse généralisée des prix que l’on subit depuis quelques années n’a que très peu à voir avec la croissance de notre masse monétaire. Ce qui offre la possibilité à Bank Al-Maghrib de réduire son taux directeur et de faciliter l’accès au crédit pour soutenir l’économie.
Notre problème est davantage celui d’une hausse des prix due à des facteurs structurels, qui certes peuvent être exacerbés par une inflation monétaire ou une inflation importée, mais ces dernières n’en sont aucunement la cause.
De quels facteurs structurels parle-t-on? Premièrement, la nature oligopolistique de plusieurs de nos grands secteurs économiques. Qu’il s’agisse du secteur des hydrocarbures, de la banque, des télécoms, du ciment ou encore des assurances, il arrive souvent que trois ou quatre entreprises dominent le marché dans un schéma de concurrence quasi absente. Or, on le sait bien, une concurrence réelle et saine est de nature à tirer les prix vers le bas. Le principal indicateur pour identifier le degré de concurrence dans un marché est la marge de profit réalisée. Et dans tous ces secteurs, les marges sont tout simplement astronomiques.
Autre facteur corrélé au premier: les faibles moyens dont dispose le Conseil de la concurrence, qui est censé veiller au respect de la concurrence dans l’économie marocaine. Si cette institution fait un excellent travail avec les moyens du bord, il est aussi vrai que vu l’ampleur des problèmes au sein de notre économie, elle n’a tout simplement pas les moyens humains et financiers pour identifier, contrôler, analyser et agir efficacement.
Troisième facteur: la priorité donnée depuis 2008 aux exportations des produits agricoles, souvent au détriment du marché intérieur. Je parle ici bien entendu du Plan Maroc vert, considéré jusqu’à présent par le Chef du gouvernement comme une vache sacrée qu’il est quasiment interdit d’interroger ou de critiquer.
D’autres facteurs existent, et il serait très long de les détailler ici. Mais ma finalité est tout autre. Car il s’agit avant tout de ne pas tomber dans le piège des synonymes en confondant «inflation» et «hausse des prix», et de ne surtout pas se tromper d’interlocuteur. Si Bank Al-Maghrib est certes responsable de la maîtrise de l’inflation qui est, rappelons-le, un phénomène monétaire, concernant la hausse des prix, c’est au gouvernement qu’il faut s’adresser, en rendant à Jouahri ce qui appartient à Jouahri et à Akhannouch ce qui appartient à Akhannouch.
Dans cette perspective, la décision de Bank Al-Maghrib, qu’on l’approuve ou pas, est tout à fait fondée et cohérente. En revanche, ce qui ne l’est pas, c’est la passivité politique du gouvernement face aux problèmes structurels évoqués précédemment, et face à plusieurs autres comme la prolifération quasi virale d’intermédiaires dans tous les secteurs clés de l’économie et la gestion calamiteuse des deniers publics dans la lutte contre la hausse des prix, comme en témoigne le scandale des milliards de dirhams donnés gracieusement aux grands importateurs de bétail, sans qu’il n’y ait une de baisse tangible du prix au niveau du marché marocain. Car si l’on devait identifier «LE» problème structurel à l’origine de l’essentiel de nos maux, ce serait bien entendu celui de la non-corrélation entre responsabilité et reddition des comptes. Et sur ce volet, Bank Al-Maghrib n’y est pour rien.
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