"Eh, Che! Comment ça va?", lui crient les passants quand il sillonne les rues de la capitale dans sa jeep Willys. Fier de sa petite célébrité, Humberto Lopez salue d'une main avant d'allumer un cigare pour exhaler des volutes de fumée.
Alors que la Bolivie et Cuba ont commémoré ces derniers jours le 50e anniversaire de la mort du révolutionnaire argentin, revendiquant son combat, le président vénézuélien Nicolas Maduro affiche le même discours de lutte contre "l'impérialisme" américain.
Mais pour le Che de Caracas, l'héritier politique de Hugo Chavez est bien loin de tels idéaux."Quand Chavez gouvernait, les gens, même dans l'opposition, disaient qu'il était très bon, mais que ceux qui l'entouraient étaient des incapables. Justement, ceux qui l'entouraient sont ceux au pouvoir maintenant", déplore celui qui n'avait que neuf ans quand le Che a été tué par l'armée bolivienne en octobre 1967.
Au Venezuela, en plein naufrage économique après la chute des cours du pétrole - son unique richesse -, le mécontentement populaire, dû aux pénuries d'aliments et à l'inflation galopante, a débouché sur une grave crise politique, avec quatre mois de manifestations anti-Maduro qui ont fait 125 morts.Après ces violences, l'opposition ainsi que plusieurs pays étrangers, dont la France et les Etats-Unis, ont qualifié le gouvernement de "dictature".
"Maduro, un dictateur? Le mot est trop grand", estime Humberto Lopez, qui refuse aussi de qualifier son pays de socialiste: "Nous n'avons jamais connu les bénéfices ni touché de près ce qu'est le socialisme", affirme-t-il."Je crois que ce qui existe, c'est plutôt l'anarchie car il (Maduro, ndlr) dit +Nous allons contrôler les prix+, et le lendemain ils augmentent".
Né dans le quartier populaire de 23 de Enero, où est enterré Hugo Chavez, Humberto se souvient qu'enfant, il dessinait l'image du Che sur les murs et sur ses cahiers."A certains gamins, ont leur inculquait (l'admiration de) Superman... Moi je suivais le Che", raconte-t-il à l'AFP, assis sur sa jeep qui porte à l'avant une plaque rouge où l'on peut lire "Chavez".
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Mais si son héros ressuscitait, dit-il, il repartirait illico pour la tombe, horrifié par la débâcle économique, car au Venezuela, "un plateau d'œufs coûte aujourd'hui le prix d'une voiture dans les années 1970!".Pas question, toutefois, pour le Che vénézuélien, de changer de bord politique: selon lui, ceux de l'opposition "sont les mêmes misanthropes qui nous ont déjà mal gouvernés".
"Les politiques nous manipulent, d'un camp comme de l'autre. Il faut chercher une troisième voix, un véritable nationalisme", estime-t-il, prédisant une prochaine "implosion sociale. Nous n'allons pas continuer à supporter cela. Moi je suis plus réaliste que communiste!".Une fois, se souvient-il, lors d'un événement retransmis à la télévision, Hugo Chavez avait dit à Fidel Castro qu'au Venezuela aussi, il y avait un Che.
Mais Humberto marque également ses distances avec le révolutionnaire argentin: "Le fanatisme, ça rend idiot. Le Che était marxiste, pas moi. Je suis nationaliste. Je ne suis pas d'accord avec le Che qui disait +même pas un soupçon d'impérialisme+. Moi je dis +même pas un soupçon d'impérialisme chinois+", la Chine étant devenue l'un des principaux créanciers de Caracas.Le sosie du Che au Venezuela se retrouve ainsi, paradoxalement, à prôner des négociations avec les Etats-Unis, le secteur privé et les investisseurs étrangers car "ici, nous ne produisons rien".
Et il regrette tout autant l'image du guérillero rebelle reproduite sur "des préservatifs, des soutien-gorge, des culottes et des porte-clés", que celle de l'impitoyable assassin communiste dépeinte par ses détracteurs."Parler du Che, c'est parler de l'homme nouveau, de créer des hommes qui agissent selon des instincts moraux et non pour l'argent. Et je crois que dans ce XXIe siècle, il n'y pas un seul être humain qui ait suivi son héritage", assure cet homme qui gagne sa vie comme mécanicien, électricien et peintre en bâtiment.