Le 5 juin, deux semaines après le passage à Riyad du président américain Donald Trump, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l'Égypte ont rompu tous leurs liens avec le Qatar en l'accusant de financer des groupes islamistes radicaux et de se rapprocher de l'Iran.
Les mesures drastiques imposées au Qatar -notamment la fermeture de sa seule frontière terrestre avec l'Arabie et l'arrêt de toutes les liaisons aériennes et maritimes- ont fait croire que la crise serait brève et que le Qatar, isolé, céderait à la pression.
Il n'en a rien été. Doha a rejeté en bloc les accusations, affirmant que ses adversaires cherchaient à interférer dans sa politique étrangère.
"Si on reste sur la même trajectoire, je m'attends que cette crise se prolonge au moins l'année prochaine", déclare à l'AFP Christopher Davidson, expert du Moyen-Orient à l'Université de Durham (Grande-Bretagne).
Au 98e jour de l'impasse, le ministre des Affaires étrangères du Qatar, cheikh Mohamed Abderrahmane Al-Thani, s'est exprimé devant le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU à Genève pour dénoncer le "siège illégal" imposé à son pays et une volonté de mise "sous tutelle" par certains Etats arabes. Les mêmes mots avaient été utilisés le 7 juin.
Au début de la crise, des rumeurs d'intervention militaire avaient circulé dans le Golfe, mais cette tension a vite cédé la place à un enlisement.
Il s'agit maintenant d'une crise par procuration qui se joue aussi à travers des médias et des entreprises de relations publiques.
Le pourrissement est marqué par l'émergence d'un mystérieux "émir alternatif" du Qatar, mis en avant par l'Arabie, l'organisation de conférences d'"opposants" qataris en Occident et des plaintes du Qatar qui s'estime victime de "violations des droits de l'Homme".
"Je ne vois pas cette impasse s'achever de sitôt, alors que le sentiment d'amertume et de trahison est fort de toutes parts. Personne ne veut être vu comme celui qui a cligné des yeux en premier", juge également Kristian Ulrichsen, analyste du Golfe à l'Institut Baker de l'Université Rice aux Etats-Unis.
"La crise diplomatique de 2014 (quand Bahreïn, les Émirats et l'Arabie avaient rappelé leurs ambassadeurs à Doha) avait duré huit mois. La crise actuelle est de loin beaucoup plus intense, ce qui veut dire qu'elle devrait durer beaucoup plus longtemps", poursuit cet expert en rappelant que le conflit nuit à l'image de tous les pays du Golfe.
"Les dirigeants du Golfe ne semblent pas comprendre à quel point le conflit mine leur réputation de partenaires de sécurité fiables en Occident", ajoute-t-il.
La crise a également révélé l'impuissance des pays occidentaux, alliés à toutes les parties et qui ont des intérêts vitaux dans la région, y compris la plus grande base aérienne américaine au Moyen-Orient située au Qatar.
Jeudi dernier, Donald Trump, devant l'absence de progrès d'une médiation koweïtienne, avait proposé ses services en affirmant: "Je pense que c'est quelque chose qui va être résolu de manière assez simple".
Il était intervenu auprès de l'émir du Qatar et du prince héritier d'Arabie qui s'étaient parlé le lendemain, pour la première fois depuis le début de la crise.
Mais cet espoir a été de courte durée et Riyad a "suspendu tout dialogue" en doutant de la bonne volonté qatarie.
Certains pays semblent bénéficier de la crise, dont la Turquie et l'Iran, qui ont su exploiter les fissures diplomatiques dans le Golfe. Oman a vu ses échanges commerciaux avec le Qatar augmenter de 2.000% depuis juin, selon des chiffres officiels publiés à Mascate.
L'image du Qatar -qui doit organiser le Mondial 2022 de football- a souffert, mais ce petit et richissime émirat gazier s'est avéré "beaucoup plus résistant" que prévu, selon M. Ulrichsen.
Mais cela pourrait ne pas durer éternellement et Doha pourrait in fine cligner des yeux en premier, estime M. Davidson.
Le Quartet anti-Qatar a présenté le 22 juin une liste de 13 demandes, parmi lesquelles la fermeture de la chaîne de télévision Al-Jazeera, jugée "agressive", l'arrêt du soutien qatari à certains groupes islamistes et l'expulsion de figures de la confrérie des Frères musulmans, qualifiée de "terroriste".
D'après M. Davidson, "la seule véritable issue est que le Qatar accepte les demandes initiales" du Quartet, car c'est "le seul scénario pratique qui permettra à Riyad et à Abou Dhabi de sauver suffisamment la face et qui empêchera une nouvelle crise".