La police algérienne a annoncé hier, mardi 17 août, dans un communiqué repris par l’ensemble des médias officiels algériens, avoir arrêté 61 personnes au total, toutes impliquées dans le lynchage à mort du jeune Djamel Bensmaïl, le mercredi 11 août dernier, soit au lendemain de la mort de 33 militaires algériens dans les feux de forêts en Kabylie.
Rappelons que ce jeune homme avait été arrêté par la police au prétexte qu’il s’apprêterait à alimenter les feux dans les forêts. Cette même police avait ébruité la nouvelle de son arrestation et le lieu où la fourgonnette l’acheminait: Larbaa Nait Irathen (dans la wilaya de Tizi Ouzou), un village devenu tristement célèbre. A l’entrée du commissariat de Larbaa Nait Irathen, des dizaines de citoyens en colère attendaient Djamel Bensmaïl.
Ils l’ont fait sortir de la fourgonnette de police, lynché à mort, brûlé son cadavre et égorgé le corps calciné, sans que la police n’intervienne à aucun moment, ou ne procède à des tirs de sommation. Ce crime abject a provoqué une véritable onde de choc en Algérie, alors que la junte au pouvoir se démène pour éloigner les vrais coupables.
Et si jusqu’ici, la thèse officielle, colportée par le procureur de Tizi Ouzou puis par une autre version véhiculée par le patron de la police judiciaire algérienne, laissait entendre que la victime avait été tuée après avoir été prise à tort comme l’un des pyromanes qui seraient derrière le départ des feux dans la région, une nouvelle thèse, officielle toujours, a été émise hier, 17 août 2021.
En effet, le smartphone du jeune homme supplicié à mort aurait entre-temps été récupéré et «l'exploitation de l'appareil a permis aux enquêteurs de découvrir des informations étonnantes sur les véritables mobiles du meurtre du jeune Djamel Bensmaïl, qui seront révélées par la justice ultérieurement en raison du secret de l'instruction», précise un communiqué de la police algérienne.
En attendant, cette même police affirme déjà avoir pu «découvrir qu'un réseau criminel, classé comme organisation terroriste, est derrière le plan ignoble, de l'aveu de ses membres arrêtés». Et que parmi les 61 «suspects» interpellés jusqu’ici, on compte «deux individus arrêtés par les services de sûreté de la wilaya d'Oran alors qu'ils s'apprêtaient à quitter le territoire national». Comprenez: en direction du Maroc.
Il transparaît clairement des termes de ce communiqué que la junte au pouvoir veut absolument voir dans ce crime la main du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) et celle, «étrangère», du Maroc.
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Sauf que l’un des suspects arrêtés par la police a été rapidement démasqué par les internautes algériens. Il s’agirait d’un certain Hassan Soyoud qui, comme l’attestent ses nombreux posts durant ces dernières années sur sa page Facebook, est un agent du général Mohamed Mediène, alias Toufik.
Ainsi dans trois posts datant successivement de juillet, août et octobre 2020, on retrouve des éloges dithyrambiques de Soyoud sur celui qu’il appelle «mon général», «l’architecte de la stabilité» en Algérie, ou encore «le serviteur de la Nation».
Bien que ces images parlent d’elles-mêmes, Hassan Soyoud a été présenté par la DGSN algérienne, sur les écrans de la télévision publique, comme étant un militant du MAK. La junte est-elle si débordée en ce moment, qu'elle en oublie d’effacer l’historique des publications sur les réseaux sociaux de ses affidés? Comment un homme, visiblement mandaté pour chanter les louanges de Toufik, peut-il être un agent du MAK?
En tout cas, le passé de Soyoud ouvre la voie à bien des interrogations et montre que les méthodes qui ont fait l’efficacité du duo Toufik/ Nezzar pendant la décennie noire sont bien dépassées. Le logiciel de ces deux hommes, qui continuent d’influencer le cours des évènements en Algérie, n’a pas évolué depuis les années 90.
A la question de «qui tue qui?», aujourd’hui, il y a une réponse apportée par les citoyens qui tiennent, chacun entre ses mains, un téléphone armé d’une caméra. Le meurtre abominable de Djamel Bensmaïl a été filmé sous tous les angles par une dizaine de smartphones. Ses auteurs et leurs complices, qui ont poussé la barbarie jusqu’à prendre des selfies avec le cadavre calciné, sont reconnaissables. Décidément, les chibanis au pouvoir accusent beaucoup de retard sur la jeunesse algérienne.
D’ailleurs, la junte se démène pour effacer les traces filmées du meurtre de Djamel Bensmaïl. Elle a visiblement poussé le frère de la victime à implorer les Algériens de supprimer toutes les vidéos relatant ce crime abject. La famille du défunt est ainsi devenue le dernier rempart du régime contre la colère populaire.
La junte pousse même ses commis à arracher des déclarations apaisantes au père de la victime, fut-ce en le malmenant, comme l’a fait le wali d’Aïn Defla dans un geste qui a provoqué un véritable tollé sur les réseaux sociaux.
L’opération, visiblement destinée à terroriser les Algériens comme au cours de la décennie noire, a tourné à une vraie débâcle pour la junte, qui n’a pas mesuré l’impact des dizaines de vidéos diffusées, qui montrent les visages à découvert de ses agents. On comprend dès lors aisément les attaques à répétition par Chengriha et Tebboune contre les réseaux sociaux. Il aurait mieux fallu ne pas en avoir, comme lors de la décennie noire. C’était tellement plus simple avant.