Algérie: le chef d’état-major de l’armée s’incruste au sein du gouvernement

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune et Said Chengriha, chef d'état-major de l'armée.

Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a procédé lundi 18 novembre à un remaniement ministériel, marqué par l’entrée du chef d’état-major de l’armée, le général Said Chengriha, au gouvernement en tant que ministre délégué auprès du ministre de la Défense. Ce poste n’est pas nouveau, puisqu’il avait été déjà créé sous le second mandat de Bouteflika en 2005, dans le cadre d’un partage du pouvoir entre la présidence algérienne et le commandement militaire. Sous Tebboune, la situation empire car ce sont les pouvoirs politique et économique qui sont en train d’être remis dans leur intégralité à l’armée.

Le 19/11/2024 à 12h17

Sur la foi de ses récentes promesses, déclinées quelques jours après sa reconduction à la Mouradia, tout le monde s’attendait à ce que Tebboune nomme un nouveau gouvernement pour mieux gérer son second mandat.

Lors de son entrevue avec deux médias locaux, le 4 octobre dernier, Abdelmadjid Tebboune a lui-même déclaré qu’il va nommer un nouveau gouvernement avec tout ce que l’Algérie compte de «meilleures compétences» et autres hauts cadres «expérimentés». Reconnaissant ainsi que son premier mandat a été marqué par de nombreuses crises et pénuries à cause de l’incompétence des différents gouvernements qu’il a nommés, il a finalement repris quasiment les mêmes ministres qu’il avait durant son premier mandat.

Il a surtout fait preuve d’ingratitude à l’égard des partis politiques qui ont mené campagne en sa faveur, et dont aucun n’a été consulté ni gratifié du moindre strapontin, surtout pour le parti d’Abdelkader Bengrina, qui avait présenté Tebboune comme son propre candidat. Mais il faut dire qu’en Algérie, le soutien des partis politiques ne pèse pas lourd face à celui, toujours décisif, du clan des généraux.

Il est donc logique que le cadeau post-électoral revienne finalement au seul Said Chengriha, en contrepartie non seulement d’avoir maintenu Tebboune au pouvoir durant tout le premier mandat, alors que c’est Gaïd Salah, l’ancien chef d’état-major, qui l’a parachuté à la présidence, mais de lui avoir offert un second mandat sur un plateau d’or.

L’homme fort de l’armée hérite, ou s’offre un poste éminemment politique, celui de ministre délégué auprès du ministre de la Défense, un poste que Tebboune campe sur le papier, ni plus ni moins, et qui, depuis 1990, fait l’objet de tiraillements entre la présidence et le commandement militaire.

Depuis l’indépendance, seuls deux militaires, sans être chefs d’État, ont occupé le poste de ministre de la Défense: le colonel Houari Boumediene de 1962 à 1965, poste qu’il conserva en tant que président jusqu’à sa mort, et le général Khaled Nezzar, de 1990 à 1993, période au cours de laquelle ce dernier mena un coup d’État contre l’ancien chef d’État et ministre de la Défense, Chadli Bendjedid (11 janvier 1992). Cette période coïncide avec le déclenchement de la guerre civile algérienne (1992-2002), ou décennie noire (250.000 morts).

Malgré les tentatives d’Abdelaziz Bouteflika, qui succède au général Liamine Zeroual en 1999, de soustraire le ministère de la Défense à l’hégémonie totale des généraux, ces derniers l’obligèrent à un partage des attributions. En vertu de ce deal, Bouteflika créa le poste de ministre délégué à la Défense, qu’il confia au général à la retraite et ancien ambassadeur en Suisse, Abdelmalek Guenaizia, également ancien chef d’état-major de l’armée de 1990 à 1993 (sous Khaled Nezzar, ministre de la Défense). Guenaizia y restera de 2005 à 2013.

De 2013 à 2019, c’est Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée qui s’octroie, à la faveur de la maladie de Bouteflika, le poste de vice-ministre de la Défense, et devient l’homme fort de l’Algérie jusqu’à son décès en décembre 2019. Son remplaçant à la tête de l’armée, Said Chengriha, n’héritera pas du poste de vice-ministre de la Défense, officiellement parlant. Mais il ne tardera pas à envoyer le secrétaire général de ce ministère, le général Abdelhamid Ghris, en prison, en vue de le remplacer par un homme de confiance, le général Mohamed Salah Benbicha.

En réalité, durant tout le premier mandat de Tebboune, c’est Chengriha qui faisait la pluie et le beau temps au sein du ministère de la Défense, et particulièrement au niveau des différents services de renseignements, comme le prouvent les dizaines de généraux et autres officiers supérieurs qu’il a envoyés en prison, et sur les cas desquels Tebboune n’a jamais osé parler.

Portant indifféremment le costume ou le treillis vert kaki, assistant aux réunions du Conseil des ministres et celles du Conseil de gouvernement, Chengriha voit aujourd’hui ses pouvoirs légalement renforcés, car il a désormais la latitude, en tant que ministre délégué, de prendre directement des décisions administratives, à portée politique.

L’annonce du gouvernement a donné le ton, car en déclinant à la télévision la composition du gouvernement Nadir Larbaoui II, la présidence algérienne a cité Said Chengriha en deuxième position, mais sans mentionner son grade, juste après le Premier ministre, et loin devant le nouveau ministre d’État à l’Énergie, Larkab.

C’est cette position de numéro deux que Chengriha a toujours occupée, non seulement au sein du duo qu’il forme avec Tebboune à la tête de l’exécutif algérien, mais dans l’ordre protocolaire à l’occasion des cérémonies officielles où il accompagnait Tebboune comme son ombre.

Avec cette nouvelle promotion de Chengriha, quels rôles auront désormais les généraux dont l’un est conseiller militaire de Tebboune et l’autre secrétaire général du MDN?

Ce qui est certain, c’est que les nouveaux pouvoirs «administratifs» de Chengriha vont lui permettre d’avoir les coudées franches pour opérer une nouvelle purge au sein de l’armée afin de faire la part belle à ses hommes de confiance.

En plus d’un chamboulement à la tête des régions militaires, deux puissants généraux risquent d’être écartés dans les prochains jours. Le patron de la Garde républicaine et doyen de l’armée algérienne dont il est le plus gradé, le général Ben Ali Ben Ali, sera la première victime de l’entrée de Chengriha au gouvernement.

Le chef de l’armée de terre, Ammar Atamnia, qui est le potentiel remplaçant de Chengriha à la chefferie de l’état-major de l’armée, doit préparer ses valises.

À la tête d’un département dont le budget dépasse les 25 milliards de dollars, Chengriha va acheter la fidélité des généraux actuellement en service, en les laissant s’enrichir avec les rétrocommissions sur les commandes de l’armée, mais aussi en percevant des parts de pourcentage sur les marchés publics des différents départements gouvernementaux, dont Chengriha est devenu le principal ordonnateur avec Tebboune. C’est dire que l’armée est en train de parachever sa mainmise totale sur la politique et l’économie du pays.

Par Mohammed Ould Boah
Le 19/11/2024 à 12h17