"On savait que la montagne était dangereuse, qu'il y avait des mines, mais on ne les trouvait pas, elles étaient enterrées dans le sol avec les pluies", regrette ce travailleur de 44 ans, qui habite une pauvre maison de pisé sur la route traversant la province de Bamiyan, dans le centre du pays.
Gholam Mahaiuddin a un vif souvenir de la guerre avec les Soviétiques, qui a duré de 1979 à 1989: "J'apportais du thé et du pain aux moujahidines", raconte-t-il. Ces derniers montaient des embuscades contre les forces cheminant dans la vallée depuis les montagnes surplombant le village d'Ahangaran.
Un chemin, maculé de peinture blanche par les démineuses du Danish Demining Group (DDG), mène à leurs anciens postes de combat... ainsi qu'à la zone bombardée par les forces soviétiques, où Moujtaba a trouvé la mort avec deux camarades, de 12 et 14 ans.
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Un beau jour de mai dernier, le 17, tous trois sont partis chercher des baies, dans ce décor idyllique de montagnes couleur anis et chocolat, coiffées de neige pour les plus hautes. Aucun n'est revenu.
Les villageois sont partis à leur recherche le lendemain. "Mon fils n'avait plus que le torse et la tête", se souvient son père, le regard humide mais sans ciller.
"C'est le dernier champ de bataille que nous nettoyons à Bamiyan, il date de 1986", explique Habib Noor, responsable du DDG pour la province.
Bamiyan, une région très majoritairement peuplée de Hazaras chiites et relativement épargnée par le conflit meurtrier entre talibans et pouvoir, qui déchire le reste de l'Afghanistan, sera bientôt la première des 34 du pays dont toutes les zones contaminées auront été nettoyées.
A Ahangaran, le DDG a récupéré 26 engins. "Nous avons exploré la zone avec les informations de la population, en trouvant des habitants qui avaient combattu là-haut", dit Habib Noor.
Sous un ciel bleu vif, un drapeau de même couleur indique la position de l'équipe de huit démineuses, avec leur médecin et un chef d'équipe.
Elle sont vêtues d'un treillis vert pâle et d'une longue protection pare-éclats bleu clair. Avec des gants noirs pour se protéger du froid pinçant.
Le travail s'effectue dans un silence troublé par le seul cri des corneilles et le bourdonnement du détecteur de mines.
Sur 31 hectares, les collines sont sillonnées de taches de peinture blanche marquant la zone de danger, désormais sûre.
L'an dernier, les mines artisanales et restes explosifs de guerre (ERW) ont tué ou blessé 1.391 Afghans, selon les statistiques du gouvernement. Les enfants représentaient 57% des victimes.
Comme l'explique depuis Kaboul le chef des opérations de déminage du DDG en Afghanistan, Abdul Hakim Noorzai, "le métal et le plastique se dégradent mais pas l'explosif. Il fonctionne toujours 100 ans plus tard".
Moujtaba et ses amis ont été tués par une sous-munition de type AO-2.5 RTM, dont les forces soviétiques ont fait un usage intensif en les dispersant comme une pluie mortelle. Des armes utilisées encore récemment en Syrie, selon un rapport de l'organisation Human Rights Watch datant de 2016.
"C'est la plus dangereuse, elle est très sensible aux vibrations", met en garde le chef d'équipe des démineuses, Bachir Ahmad, un taciturne à la peau couleur de brique, tannée par le soleil.
Sous ses ordres, Zarkha, une jeune femme de 26 ans aux yeux noirs en amande, raconte sa découverte d'une mine il y a quatre jours: "Pour la première fois j'ai eu très peur. Je l'ai détectée, j'ai prévenu mon chef, on a déterré autour avec une petite pelle et on l'a fait exploser sur place".
Bachir Ahmad est en colère. "Ils ont détruit nos vies. Pourquoi dois-je être démineur plutôt qu'ingénieur ou médecin ?", s'interroge ce fils de réfugiés au Pakistan du conflit avec les Soviétiques. Lui est né il y a quarante ans, l'année de l'invasion soviétique.
Rentré dans son pays, détruit, à la fin des années 90, il a dû travailler plutôt qu'étudier. "Je fais du déminage depuis 2003. J'en ai assez".
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S'il continue, c'est "pour (son) pays" et "pour soutenir (sa) famille", affirme-t-il. Et d'ajouter, avec une fierté qui éclaire son visage: "je n'ai pas pu de devenir ingénieur, mais mes deux fils étudient l'électricité et l'énergie à l'Université à Kaboul".
En descendant la montagne, l'équipe retrouve les bandes d'enfants jouant à la sortie de la modeste école du village.
Nahida, 11 ans, sourire timide sous le petit foulard blanc couvrant sa chevelure, se souvient très bien de Moujtaba: "C'était mon cousin. J'ai pleuré en apprenant sa mort".
En revanche la guerre avec les Soviétiques ne lui dit rien: "Je ne sais pas d'où venaient ces bombes".