Affaire Amir DZ: le kidnapping de l’influenceur intrigue la justice française

Amir Boukhors, dit Amir DZ, blogueur algérien, à la sortie d'un tribunal français. (Photo AFP)

Dans la nuit du 29 au 30 avril 2024, quatre hommes enlèvent, détiennent puis relâchent l’influenceur algérien Amir Boukhors en région parisienne. Un an plus tard, l’enquête sur ce kidnapping intrigue la justice française

Le 14/08/2025 à 07h07

La justice française a délivré fin juillet un mandat d’arrêt international contre un ancien responsable de l’ambassade d’Algérie en France pour «arrestation, enlèvement et séquestration en relation avec une entreprise terroriste» et «association de malfaiteurs terroriste criminelle», a appris l’AFP de source proche du dossier.

Dans un rapport d’enquête daté d’avril, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) présente cet homme comme un «sous-officier» du renseignement algérien (DGDSE), en poste à l’ambassade au moment des faits «sous la couverture diplomatique de premier secrétaire».

La justice française a également mis en examen au moins sept autres personnes, dont un agent du consulat algérien de Créteil, en banlieue parisienne, pour cette rocambolesque opération dont le mobile reste mystérieux.

Faux policiers, camion de drogue et somnifère

Le 29 avril 2024, alors qu’Amir Boukhors, influenceur connu sous le nom d’Amir DZ (1,1 million de followers sur TikTok, 1,2 million sur Facebook), rentre chez lui dans le Val-de-Marne peu avant 23 h 30, il aperçoit «une voiture banalisée, noire, avec un gyrophare, qui barre la route», racontait-il à l’AFP en avril.

«Quatre hommes descendent de la voiture, dont deux portent le brassard de police orange.» Il est menotté, informé qu’un «officier» l’attend au commissariat, et embarqué.

«Après une dizaine de minutes, j’ai vu la station d’essence TotalEnergies de Pontault-Combault (Seine-et-Marne). Là, j’ai compris que j’étais tombé dans un piège», poursuit-il.

Il interroge l’un de ses ravisseurs: «Il m’a dit: “Il y a un responsable algérien, il veut te parler. Il veut te poser des questions. Après, on va te relâcher”.» Arrivé dans un lieu ressemblant à «une casse de voitures», il est installé dans un «container aménagé».

On lui fait boire un verre contenant «un liquide blanc», qui s’avérera être un somnifère.

À son réveil, il se retrouve gardé par deux jeunes femmes au visage masqué.

Il questionne l’une d’elles, qui lui répond que tout sera réglé s’il rend «le camion de drogue détourné à Amsterdam». Il affirme ne pas comprendre, donne son nom et précise qu’il est réfugié politique. La jeune femme vérifie sur son téléphone.

Plus tard, «paniquée, en train de pleurer», elle se confie: «Ils m’ont donné 1.000 euros pour moi et 1.000 euros pour ma copine pour vous surveiller, s’il te plaît ne porte pas plainte», raconte Amir Boukhors. «Elle m’a dit: “D’après ce que j’ai entendu, le plan c’est de te ramener en Espagne”.»

Finalement, il n’ira nulle part. À nouveau drogué, il est relâché quelques heures plus tard, en pleine nuit dans une forêt, et rentre chez lui le 1er mai au petit matin avec l’aide d’un automobiliste.

«Vingt-sept heures» de détention, sans violence ni menace, selon lui. Pour quelle raison? «Je ne sais pas exactement», affirme cet homme de 41 ans. Mais pour lui, aucun doute: les ordres sont venus d’Alger.

«Je connais très bien mon ennemi (...). J’ai reçu beaucoup de menaces avant cette opération.»

Condamnations

Amir Boukhors se présente comme «un opposant», un «antisystème», un «journaliste d’investigation qui fait des enquêtes sur la corruption en Algérie».

Le blogueur, qui dit avoir quitté son pays en 2012 avant de s’installer en France en 2016, est visé par neuf mandats d’arrêt en Algérie, dont deux émis en avril 2021, notamment pour appartenance au mouvement islamiste Rachad, classé comme «terroriste» par les autorités.

Entre 2015 et 2019, il a écopé de sept condamnations pour menaces, chantage, calomnie, diffamation et atteinte à la vie privée, prononcées par divers tribunaux algériens.

Il affirme avoir été condamné à mort, ce que des sources sécuritaires algériennes ont démenti à l’AFP. Il a en revanche été condamné à la prison à vie par le tribunal de Relizane (nord-ouest) en 2022, notamment pour «atteinte à la sécurité de l’État».

La personnalité de cet influenceur, qui a obtenu le statut de réfugié politique en France en octobre 2023, divise.

Ses publications, visant le président Abdelmadjid Tebboune et ses proches, peuvent atteindre les 10 millions de vues sur TikTok et déclenchent des milliers de commentaires. Elles constituent aussi un sujet diplomatique.

«Le dossier qu’Alger appelle “les subversifs”», dont Amir Boukhors fait partie, «sera au menu de la reprise des échanges sécuritaires entre les deux pays, si ces derniers reprennent prochainement», commente une source diplomatique française.

«Secrets croustillants»

Amir DZ appartient à une génération de blogueurs apparue vers 2015 et qui a connu un fort écho depuis le «Hirak». Ce mouvement de contestation a éclaté en 2019 contre un cinquième mandat présidentiel d’Abdelaziz Bouteflika et l’a chassé du pouvoir, avant de se poursuivre jusqu’au début de 2021, puis de s’éteindre sous l’effet des restrictions sanitaires liées au Covid et des arrestations décidées par son successeur, Abdelmadjid Tebboune.

Mais pour Ali Bensaad, professeur à l’Institut de géographie de Paris, ces influenceurs «ne sont pas des opposants» au régime. «Ce sont des porte-voix de différentes factions du pouvoir, ils monnayent leurs services», estime-t-il, évoquant les luttes internes entre présidence, armée et services de renseignement.

«Il (Amir DZ) n’a jamais tenté de faire de l’analyse politique. Il balance des choses brutes, des invectives. Ce sont des petits secrets croustillants du sérail. Mariés avec la politique, dans une société en défiance totale vis-à-vis du régime et sous une chape de plomb, le succès est assuré», explique-t-il, soulignant que les informations diffusées ne peuvent être obtenues sans connexions dans les plus hautes sphères.

Amir DZ affirme être «indépendant», sans lien avec aucun «mouvement ni groupe politique», et vivre «des revenus de YouTube, Facebook, TikTok».

Pour Ali Bensaad, l’enlèvement d’Amir DZ, à quelques mois de la présidentielle de septembre 2024, ressemble à une opération d’intimidation entre rivaux au sein du pouvoir algérien.

«Cela faisait partie d’une stratégie pour faire taire ceux qui discréditaient la candidature de Tebboune. C’était aussi un moyen de pression sur ses “patrons”, pas tant sur les influenceurs eux-mêmes que sur les factions qui les utilisent et qui s’opposaient à sa reconduction.»

Par Le360 (avec AFP)
Le 14/08/2025 à 07h07