«Grande mobilisation à Paris pour un changement radical en Algérie», assénait, hier dimanche 17 mars, une correspondance de l’APS (l'agence de presse officielle) depuis la place de la République, à Paris, où des milliers d’Algériens de France s’étaient donné un quatrième rendez-vous dominical, pour revendiquer le départ du système algérien.
«Les membres de la communauté algérienne, venus en famille ou entre amis, tous âges confondus, brandissaient des drapeaux nationaux de toutes les dimensions, soulignant que les manifestations dominicales se poursuivront jusqu'à ce que le régime algérien entende le peuple», rapportait encore l'agencier dans sa dépêche, se faisant, de fait, l’écho «du rejet du dernier message du président de la République, dans lequel il avait annoncé le report de l'élection présidentielle du 18 avril et sa décision de ne pas briguer un 5e mandat à la magistrature suprême».
Pendant ce temps, Canal Algérie, chaîne de télévision publique algérienne à dominante francophone, passait en boucle les images impressionnantes des marches millionièmes qui ont eu lieu vendredi dernier, 15 mars 2019, en Algérie, notamment à Alger, au terme desquelles des policiers anti-émeutes, contre toute attente, ont rejoint les manifestants, au cri «Chorta, chaâb, khawa khawa» («La police, le peuple, sont des frères»).
«Les Algériens ont manifesté pour la démocratie, pour le changement, dans un esprit de pacifisme», s’est même réjoui le présentateur du JT de Canal Algérie.
Émanant de médias officiels qui ont longtemps servi de caisse de résonance aux diktats du clan Bouteflika, plutôt qu’aux revendications du peuple algérien frère, ce changement de ton ne laisse pas indifférent. Il appelle plusieurs interrogations sur ce qui se trame réellement dans les coulisses des hautes sphères du pouvoir, et donne l’impression que ces mêmes sphères sont non seulement dépassées par les événements, mais qu’elles n’ont peut-être jamais pu anticiper un tel (et si spectaculaire) engouement populaire.
Ce changement de cap majeur ne présage-t-il pas, in fine, que les «jeux sont faits» pour Bouteflika et que sa chute, finalement, n’est plus qu’une question de jours? Les médias officiels s’étaient tenus, jusqu'ici, à un traitement a minima, en inventant des périphrases, tel que «manifestations à caractère politique», mais sans faire référence à la principale revendication de la rue: le changement du système et de l’homme qui l’incarne, Abdelaziz Bouteflika.
Les médias officiels algériens ont-ils compris que le rapport de force entre le peuple et le régime est défavorable au pouvoir en place? Ont-ils reçu des instructions de l’autre partie essentielle dans l’exercice du pouvoir en Algérie: les militaires? Après avoir commencé par menacer les manifestants, le plus haut gradé en Algérie, le général Ahmed Gaïd Salah, a multiplié les appels du pied en direction du peuple.
D'ailleurs, ce lundi 18 mars encore, le chef d’état-major algérien a déclaré, dans une allocution rendue publique par le ministère de la Défense: «le peuple algérien a fait preuve, aujourd’hui dans les circonstances actuelles, d’un grand sens du patriotisme et d’un civisme inégalé, qui dénotent d’une profonde conscience populaire ayant suscité une vive admiration partout dans le monde».
Le vent du changement voulu par les Algériens fait également bouger les apparatchiks gérontocrates qui cristallisent pourtant le mieux ce contre quoi la rue manifeste. Est-ce là le sauve-qui-peut qui prime désormais, dans le clan de ceux qui ont été gavés par le système clientéliste de Bouteflika? Est-ce une porte de sortie que se réservent les pontes du système de peur qu’on leur reproche de n’avoir pas choisi le camp gagnant?
Signe de ces temps (qui changent): même l’ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia a pris tout le monde de court, hier dimanche, en appelant les décideurs, dans un message adressé aux militants de son parti le RND, à répondre dans les «plus brefs délais aux demandes pacifiques» du peuple algérien.
Cependant, que peuvent désormais ces «décideurs», face à la pression de plus en plus accrue du peuple, aujourd’hui plus que jamais déterminé à se débarrasser de cette génération fossilisée, liberticide et corrompue jusqu’à la moelle? Les médias officiels ne sont décidément que la caisse de résonance de la débandade totale du camp Bouteflika.
La mue annoncée chez les médias officiels algériens découle certainement de cette conscience généralisée que rien ne sert plus à continuer de défendre l’indéfendable sans risquer de s’aliéner un peuple décidé à reprendre son destin en mains. Et leur mue laisse augurer qu’Abdelaziz Bouteflika ne tiendra probablement plus les rênes du pouvoir après le 28 avril.