La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre et en a laissé plusieurs sans voix. Il s’agit de l’entrée du Franco-Israélien, natif du Maroc, Patrick Drahi dans le capital de 2M. Des «sources» ont parlé et de nombreux médias ont relayé. Mais il n’en est rien. Contacté par le360, le proche entourage du richissime homme d’affaires et magnat de la presse en France nie en bloc. Mais il n’y a pas de fumée sans feu, et la rumeur vaut que l’on s’y attarde.
A priori, rien ne s’oppose à une prise de participation de Patrick Drahi dans le véritable fleuron du paysage audiovisuel marocain qu’est 2M. L’homme d’affaires est un Marocain. Il n’a d’ailleurs quitté sa Casablanca natale qu’à l’âge de 15 ans. Il est aussi fin connaisseur du secteur. Le patron du géant Altis compte à son actif la chaîne française d’information continue BFM TV, mais aussi RMC, le quotidien de gauche de référence Libération ainsi que l’hebdomadaire L’express et l’influent site high-tech 01net. Entre autres.
Sans oublier la chaîne israélienne i24News qui émet depuis Tel Aviv et ce, en trois langues. Et le moins que l’on puisse dire c’est que l’homme a les moyens de ses ambitions. Sa fortune est estimée à, tenez-vous bien, 13 milliards de dollars. Cette fortune, Patrick Drahi la doit aux télécoms dont il est un des principaux acteurs, en France (avec SFR), mais aussi au Luxembourg (Altice), au Portugal (Portugal Telecom), aux Etats-Unis (Suddenlink) et en Israël (Hot). Là encore, entre autres.
Des ambitions, l’homme d’affaires en a aussi sur le continent africain. Il entend notamment lancer BFM Africa qui aurait certainement le Maroc comme plaque tournante étant donné les infrastructures dont dispose le pays, la politique africaine du royaume, mais aussi la maturité du secteur de la publicité, véritable nerf de la guerre des médias et qui est de loin le plus développé de l’Afrique de l’Ouest. Un secteur où Patrick Drahi est également présent, en attendant de concrétiser sa volonté d’investir dans la banque.
Ces arguments crédibilisent la possibilité d’une reprise de la chaîne d’Aïn Sebaâ. Mais d’autres facteurs viennent contre dire cette option. Il y a d’abord l’image de Patrick Drahi. Si sa confession juive n’est en aucun cas un obstacle, ses positions comme ses actions pro-sionistes posent problème. Quand on sait que toute négociation se passe au plus haut niveau du gouvernement et de l’Etat, une telle posture passe mal. A cela s’ajoute le fait que Patrick Drahi est en plein repositionnement sur le pôle médias aujourd’hui déficitaire en ce qui concerne ses activités. Il cède les petits pour ne garder que les plus grands. En juin dernier, il a d’ailleurs vendu nombre de supports spécialisés pour se recentrer sur les titres d’information générale et politique, annonçait Le Monde. Quant aux médias audiovisuels, Patrick Drahi a mis le cap sur… les Etats-Unis. Il y prépare le rachat de Charter, deuxième câblo-opérateur du pays. «L'opération se chiffrerait à 200 milliards de dollars», lit-on sur challenge.fr.
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Autant dire qu’une chaîne somme toute «locale» comme 2M ne saurait suffire à ses appétits grandissants. La rumeur sur son rachat n’en pose pas moins la question sur la santé financière fragile de la chaîne, au départ privée avant sa reprise par l’Etat. Un Etat aujourd’hui «mauvais payeur». Le gouvernement ne contribue qu’à hauteur de 35 millions de dirhams annuels dans une chaîne qui est, par définition, budgétivore. Ce montant représente à peine 5% du budget de fonctionnement de 2M.
Le cahier des charges qui lui avait été imposé du temps du gouvernement Benkirane n’a rien arrangé. Sa mise en œuvre coûte quelque 250 millions de dirhams par an. Et sur toute la période 2006-2016, 2M a bénéficié, selon un rapport de la Cour des comptes, de seulement 430 millions de dirhams contre…10,5 milliards pour la Société nationale de radiodiffusion et de télévision, soit 88% du soutien public au secteur. Quand on sait qu’à elle seule, 2M représente 32% des parts d’audiences, dans un environnement ultra-concurrentiel et avec 1.500 chaînes satellitaires en face, il est légitime de s’interroger sur le montant d’une si petite subvention.
L’Etat n’a conclu avec la SOREAD qu’un seul contrat programme pour la période 2010-2012 pour des contributions financières de 80 millions de dirhams en 2010, 55 en 2011 et 35 en 2012. Censé mettre en équilibres les exigences de l’Etat et les besoins financiers de la chaîne, le nouveau contrat-programme entre le gouvernement et 2M n’a jamais vu le jour.
Résultats, et sans les moyens dont elle devrait disposer pour honorer ses engagements, la chaîne est en grande difficulté. Dans son rapport 2015, la Cour des comptes a tiré la sonnette d’alarme sur la situation financière de la Soread/2M. «Les agrégats comptables et financiers de la SOREAD témoignent d’une situation financière alarmante», lit-on. La société ne réalise que des résultats négatifs depuis 2008, du fait que son chiffre d’affaires n’arrive pas à absorber le total de ses charges. Et ainsi, «son résultat financier devient déficitaire de manière structurelle». La situation nette est inférieure au ¼ du capital depuis 2012.
Une difficulté que seul un retour de 2M dans le secteur privé pourrait lever. Opérant suivant les contraintes que lui impose sa mission de service public et sous le contrôle strict du gouvernement, la station d’Aïn ne doit sa survie qu’en adoptant un positionnement commercial propre au secteur privé. En 2014, la publicité a représenté 93% des ressources de la SOREAD-2M.
L’entrée d’un opérateur tiers sera également une manière de protéger 2M des velléités de contrôle que nourrissent les partis politiques une fois arrivés au pouvoir. D’aucuns se souviennent de la véritable guerre de tranchées qui eut lieu du temps de Abdelilah Benkirane.
L’urgence de l’entrée d’un opérateur privé dans le capital de 2M est d’autant plus criante qu’en face, les choses bougent. De sources fiables, le360 apprend qu’Othman Benjelloun, l’ingénieux magnat de la finance au Maroc, s’apprête à entrer dans le capital de Medi 1 TV après avoir investi Medi 1 Radio. C’est dire.