Traîtrise, trahison, dérive dangereuse, grave dérapage, maladresse, revirement, volte-face, chantage, mauvaise foi… Tels sont les qualificatifs qui reviennent à répétition dans les titres et articles de la presse algérienne de ce week-end, en réaction à la décision espagnole considérant que la plan d’autonomie proposé par le Maroc est la base la plus crédible pour le règlement du différend créé autour du Sahara.
Ces accusations peu amènes et autres insultes ressassées par les médias algériens pourraient laisser croire que l’Espagne soutenait jusqu’ici la position du duo Polisario-Algérie sur le Sahara, ce qui n’a jamais été pourtant le cas. Elles sont tout simplement révélatrices d’une vaine tentative de cacher un nouvel échec cinglant de la diplomatie du régime politico-militaire algérien.
Dans ce florilège de titres, on peut lire pêle-mêle : «Pedro Sanchez succombe aux pressions et au chantage du Maroc» (algeriepatriotique du 19 mars), «Une 2e trahison historique du peuple sahraoui par Madrid» (TSA du 19 mars), «Sahara occidental: le changement de position de Madrid, une dérive dangereuse» (APS du 19 mars), «L’enjeu gazier: la mauvaise foi espagnole» (Algerie54 du 19 mars), «Conflit du Sahara occidental: l’Espagne trahit les Sahraouis» (Al Watan du 20 mars), «Revirement de l’Espagne sur le Sahara occidental» (Liberté du 20 mars), «S'insurgeant contre le revirement dans le dossier sahraoui et rappelant son ambassadeur, Alger dénonce la trahison de Madrid» (L’Expression du 20 mars), «Question du Sahara occidental: l’Espagne s’aligne sur la thèse marocaine» (La Nation du 20 mars)…
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Très sonnées par ce que le ministère algérien des Affaires étrangères qualifiera, dans un communiqué, de «brusque revirement», les autorités algériennes se sont d’abord cachées derrière certains médias pour réagir à la décision espagnole.
Ainsi, c’est d’abord le média conspirationniste appartenant au général Khaled Nezzar, algeriepatriotique, qui sortira la première réaction à la décision espagnole, en faisant dire au délégué du Polisario en Espagne que «Pedro Sanchez a succombé au chantage du Maroc». Ce média aura même «l’avantage» d’annoncer, avant même la prise de cette décision par les autorités algériennes, que l’ambassadeur algérien à Madrid sera rappelé par son pays.
«Algeriepatriotique a appris de sources autorisées que l’ambassadeur d’Algérie en Espagne va être rappelé dès ce samedi soir à Alger pour consultations, suite au dernier revirement du gouvernement espagnol par rapport à la question sahraouie. Les autorités algériennes qui ne s’étaient, jusque-là, pas encore exprimées sur le sujet font ainsi part de leur mécontentement et de leur étonnement… », écrit ce média dans la matinée du samedi 19 mars. Une demi-journée plus tard, à 17h09, l’agence de presse officielle, APS, publie un communiqué laconique du ministère algérien des AFfaires étrangères qui mentionne que: «très étonnées par les déclarations des plus hautes autorités espagnoles relatives au dossier du Sahara occidental, les autorités algériennes, surprises par ce brusque revirement de position de l'ex-puissance administrante du Sahara occidental, ont décidé le rappel de leur ambassadeur à Madrid pour consultations avec effet immédiat».
Pour sa part, Tout-sur-l’Algérie, dont la principale source sur le Sahara n’est autre que le diplomate amer Amar Belani, sera le 2ème média algérien le plus prolifique en matière de réactions à la décision de Pedro Sanchez. Cette dernière y est qualifiée tantôt de «revirement spectaculaire», tantôt de «trahison» à l’égard du Polisario et de son parrain algérien. «A Alger, la décision de Madrid de s’aligner sur les thèses marocaines est perçue comme une trahison à l’égard du peuple sahraoui qui lutte pour son indépendance. Cet acte est une deuxième trahison historique du Peuple sahraoui par Madrid après le funeste accord de 1975», écrit TSA, citant «un diplomate» algérien (Belani). Ce dernier croit savoir que le «revirement de la position espagnole survient après une série de crises entre Rabat et Madrid sur la question migratoire, avec en toile de fond la question du Sahara occidental».
Ce même raisonnement se retrouve dans les colonnes du quotidien Liberté de ce dimanche 20 mars, qui explique que «ces derniers développements interviennent après des mois de brouille diplomatique entre Madrid et Rabat… et de la question migratoire que le royaume chérifien utilise comme une arme contre les autorités espagnoles».
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Jouant sur les réactions du Parti populaire (droite) et Podemos (gauche radicale) qui ont critiqué la décision du chef de l’exécutif espagnol, le site lapatrienews prédit que «Madrid s’expose à une gravissime crise interne». Sauf que ce média oublie que le Parti socialiste ouvrier espagnol, même sans le dire ouvertement, a toujours penché du côté marocain dans le dossier du Sahara, que ce soit sous la présidence de Felipe Gonzales (1982-1996) ou plus récemment sous celle de José Luis Rodrigez Zapatero (2000 à 2012).
D’ailleurs, le site d’Algérie54, laisse entendre que Madrid et Alger n’ont historiquement jamais eu de bonnes relations politiques, mais que seule la realpolitik autour du gaz et ses contrats longue durée maintient des «canaux» entre les deux pays. Ce média rappelle d’ailleurs un épisode inamical de l’Algérie, qui «hébergea les séparatistes de l’ETA» (une organisation terroriste et séparatiste espagnole), pour répondre à un soutien présumé de Madrid à Ahmed Ben Bella en vue de reprendre le pouvoir après la mort de Houari Boumédiène. Ce «malentendu» algéro-espagnol a été résolu en 1985, par feu le président Chadli Bendjedid, en contrepartie d’un juteux contrat de gaz favorable à l’Espagne. Algerie54 préconise que l’Algérie fasse jouer à nouveau l’actuel contrat gazier avec l’Espagne pour lui faire changer de position sur le Sahara.
L’on sait qu’en Algérie, tout pays qui soutient, peu ou prou, la marocanité du Sahara est immanquablement qualifié de «perfide». L’Espagne n’a pas échappé à cette règle puisque le quotidien La Nation, dans son édition de ce dimanche 20 mars, écrit qu’«après une position équilibrée qui a duré près de 50 ans sur la question du Sahara occidental, le royaume d’Espagne change son fusil d’épaule et déclare son soutien au plan marocain d’autonomie. Ce revirement est d’autant plus surprenant qu’il suscite des interrogations sur ses motifs réels. Des motifs qui ressemblent plus à une perfidie qu’à une position de principe».