Après la boutade du président Hollande sur cette présumée «maîtrise intellectuelle» du président Bouteflika, démentie par les images de leur brève rencontre, lundi 15 juin, le président Hollande devait encore prêter le flanc à de vives critiques quant à l’absence d’enjeux de son bref séjour (2 heures) dans la résidence médicalisée de Bouteflika, à Zéralda, à côté d’Alger.
La chaîne d’information française «LCI» a consacré, en marge du bulletin d’information de la soirée du 15 juin, un débat fleuve sur cette visite, auquel d’éminents spécialistes du Maghreb ont été invités pour livrer leurs points de vue sur le timing et les réels mobiles de cette visite destinée à « cautionner » «l’anachronisme de l’oligarchie qui gouverne l’Algérie depuis des décennies», avec à leur tête un président qui continue de s’accrocher à son fauteuil (roulant) en dépit d’un fâcheux AVC diagnostiqué en 2013 à l’hôpital Val-de-Grâce, à Paris. Sur ce point, Abdelkader Abderrahim, chercheur à l’Iris, a été on ne peut plus explicite. «Les institutions algériennes sont peu légitimes dans la mesure où elles affichent une indifférence totale aux doléances du peuple », a-t-il déploré, estimant que «le gouvernement en place se soucie peu de relever les défis actuels qui pèsent sur la société, en l’occurrence le chômage qui bat son plein».
Evoquant le Maroc, ce spécialiste des relations internationales a noté que, d’un point de vue stratégique, le royaume est en train d’opérer actuellement un redéploiement économique et diplomatique d’envergure en Afrique, comme en témoigne la tournée du roi Mohammed VI en Afrique, qui permettra de décrocher de nouveaux débouchés pour les entreprises marocaines. Le chercheur de l’Iris n’a pas manqué de tacler au passage la politique étrangère de la France, en relevant que le périple africain du souverain Mohammed VI constitue un « message » lancé à l’adresse de la France qui préfère l’Algérie, signifiant que Rabat cherche des partenaires ailleurs.
Antoine Gloser, journaliste spécialiste de l’Afrique, abonde dans le même sens que son collègue de l’Iris, Abdelkader Abderrahim, en indiquant que, contrairement au piétinement de l’Algérie, le Maroc a progressé énormément en diplomatie étrangère, notamment en Afrique. Evoquant le périple royal en Afrique, le journaliste a affirmé qu’il «était « incroyable de voir le roi du Maroc visiter le Sénégal, le Gabon … Le Maroc est en train de reprendre les banques africaines saisies auparavant par la France en Côte-d’Ivoire». «Les Marocains concurrencent la France dans l’ensemble de l’Afrique francophone», a-t-il fait valoir, relevant que l’Algérie, par contre, «paraît s’accrocher à son anachronisme historique face au Maroc». Toujours dans le registre comparatif, le journaliste français a livré ce parallèle on ne peut plus édifiant : «Lorsque le président Hollande se rend en Algérie, c’est seulement trois à quatre personnes qui l’accompagnent, contrairement au Maroc où tout un charter qui l’accompagne».
Autre constat, et il n’est pas des moindres. A en croire le journaliste Gloser, le volet sécuritaire préside aux relations franco-algériennes plus que tout autre chose. D’ailleurs, le dernier déplacement du président Hollande aurait été motivé par la volonté de ce dernier de débattre avec son homologue algérien des défis sécuritaires qui pèsent sur l’Afrique, notamment «l’Etat islamique» en Libye. Mais là encore, le président Hollande a de fortes chances d’être déçu compte tenu du rôle interlope joué par Alger à ce niveau précis de la question.
Intervenant à ce sujet, une chercheuse à l’Ifri, en l’occurrence Mansouria Makhefi, a indiqué que l’Algérie est confrontée à la menace terroriste plus que LE Maroc, notant que ce pays est lui-même victime depuis des décennies de dysfonctionnements de gouvernance.
Autre ombre au tableau, la crise économique sans précédent que traverse l’Algérie en raison de la chute des cours de pétrole, seule denrée exportable ou presque compte tenu de l’absence d’alternative dans ce pays rongé par la rente pétrolière. «Face à la réduction des prix du pétrole, l’Etat algérien fait face à une situation sociale gravissime», s’inquiète la chercheuse de l’Ifri. Une inquiétude partagée par Jean-Yves Moisseron, Rédacteur en chef de la revue «Maghreb-Machrek», pointant un échef flagrant du modèle économique prévalant en Algérie, qui souffre effroyablement de la chute des cours des hydrocarbures.