A quelques jours du lancement du processus de flexibilisation du régime de change, le gouverneur de la Banque centrale était certainement loin de penser que les choses se passeraient dans un climat aussi tendu dans le secteur. Conférences, séminaires et rencontres de sensibilisation ont été organisés tout au long des derniers mois pour justement éviter qu’une panique ne s’empare des marchés à la veille de cette échéance, ce qui n’a finalement pas pu être évité. Ce qui s’est passé ces derniers jours sur le marché bancaire en est la preuve.
Rappel des faits: pendant quelques jours, les clients, particulièrement les importateurs, n’arrivaient plus à se procurer des devises auprès des banques, Bank Al-Maghrib ayant vraisemblablement fermé les robinets. Pourtant, selon le régime de change actuellement en vigueur, la Banque centrale assouvit 100% des besoins des banques en devises, tant que celles-ci sont disponibles. Mais la semaine dernière, elle a brusquement cessé de le faire. La raison est que Bank Al-Maghrib et son gouverneur n’étaient «pas contents» de voir que les volumes des contrats de couverture contre une dépréciation du dirham avaient explosé. Comme l’a expliqué Abdellatif Jouahri lors de son point de presse de mardi dernier, cela voulait dire «qu’on spéculait sur une baisse de la valeur dirham», alors que lui-même n’arrêtait pas d’assurer qu’aucune dévaluation n’aurait lieu.
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Une histoire de couverture
En fait, le principal reproche adressé par Abdellatif Jouahri aux banques c’est d’avoir cherché à commercialiser des couvertures contre une dévaluation du dirham, ce qui revenait à nourrir la spéculation contre une perte de valeur de la monnaie nationale une fois le processus de flexibilisation lancé début juillet. Pour éviter cela, le gouverneur de la Banque centrale a souvent répété que les banques devaient jouer un rôle d’information et de sensibilisation des clients et, surtout, les rassurer face aux craintes que pourrait engendrer un changement de régime de change. Plusieurs réunions ont d’ailleurs été organisées entre les responsables de la Banque centrale et ceux des banques pour les inciter à cela.
Les établissements bancaires ont-ils failli à cette mission? Rien n’est certain, car à en croire les banquiers, non seulement le recours aux couvertures contre les risques de change est courant chez les importateurs et il est normal que ces derniers cherchent à éviter tous les risques à la veille de la flexibilisation, mais c’est aussi un argument qu’avait présenté la Banque centrale elle-même pour convaincre que l’impact éventuel sur la valeur du dirham pouvait être géré grâce à ces instruments.
Finalement, qu’il y ait autant de recours aux couvertures (un volume de 1,2 milliard de DH par jour selon les données révélées par Abdellatif Jouahri) a semble-t-il surpris l’autorité monétaire qui, pour lever toutes les suspicions sur des opérations purement spéculatives, a décidé de lancer une mission d’inspection dans le secteur bancaire.
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Des réserves en devise qui fondent
En attendant ces résultats, force est de souligner que le quiproquo de ces derniers jours entre Bank Al-Maghrib et les banques a également été nourri par une situation conjoncturelle moins favorable. Depuis plusieurs mois, les réserves en devises du Maroc s’effritent à un rythme de plus en plus soutenu, au point d’atteindre aujourd’hui l’équivalent de 5 mois et 24 jours d’importation, soit leur niveau le plus bas sur les trois dernières années. Or, parmi les arguments avancés par l’autorité monétaire pour prouver que le Maroc réunissait les prérequis pour entamer le processus de flexibilisation de son régime de change figurait justement son stock suffisant de devises.
Certes, on est encore loin du seuil critique qui ferait paniquer la Banque centrale et que le FMI fixe à 2 mois d’importation. Cependant, les inquiétudes sont bien justifiées lorsque l’on voit que les principaux indicateurs du compte courant évoluent dans un sens propre à ajouter de la pression sur les réserves du pays (déficit commercial qui se creuse, des transferts de MRE en baisse, un solde des flux des voyages qui s’effrite et un bilan mitigé au niveau des IDE).
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C’est dire qu'à quelques jours de l’annonce de la date officielle du lancement du nouveau régime de change, les pouvoirs publics espéraient assurément un tout autre contexte.