L’encours du crédit bancaire poursuit sa progression annuelle depuis janvier 2025, avec un impact direct sur l’économie réelle. Dans un entretien accordé à Finances News Hebdo, Ahmed Kchikeche, professeur d’économie monétaire, souligne que «les données récentes montrent qu’en 2025, le crédit bancaire au secteur privé marocain connaît une reprise modérée après deux années de croissance faible». Selon lui, l’encours du crédit bancaire réel, corrigé de l’inflation, a progressé de 4,41% sur un an en juillet 2025 par rapport à juillet 2024, soit une hausse nominale proche de 4,9%.
«Cette amélioration, amorcée en mars 2025, rompt avec la stagnation observée les années précédentes. Cependant, cette évolution reste fragile et pourrait s’apparenter à un simple sursaut ponctuel sans véritable relance durable», avertit-il. Il rappelle que les années 2022 et 2023 ont été marquées par une croissance réelle du crédit globalement négative et qu’en 2024, la progression du crédit au secteur privé est restée faible, souvent inférieure à la hausse des prix. Le ratio crédit sur PIB, indicateur de l’intensité du crédit, est passé de 79,4% en 2022 à 72,9% en 2024, représentant son niveau le plus bas depuis 2018.
Kchikeche note que «la reprise du crédit bancaire observée en 2025 reste récente et limitée. Le rebond de 4 à 5 % rompt avec la stagnation antérieure, mais sa durabilité demeure incertaine». Il précise que les crédits aux ménages progressent plus rapidement que ceux destinés aux entreprises privées, suggérant que «la reprise actuelle du crédit reste fragile et qu’elle ne traduit pas encore une véritable dynamique de financement capable de relancer durablement l’économie marocaine».
Selon lui, la faible croissance du crédit bancaire au secteur privé résulte de facteurs à la fois structurels et conjoncturels. «Du côté de la demande, la faiblesse de la demande solvable de crédit a constitué un frein majeur. Les entreprises et les ménages ont vu leur capacité d’endettement et de remboursement se détériorer en raison de plusieurs facteurs défavorables. Le marché du logement a atteint un stade de maturité qui limite le volume des nouveaux emprunts immobiliers. De plus, le ralentissement économique persistant a réduit l’incitation à investir ou à consommer à crédit». Du côté de l’offre, ajoute-t-il, «les banques marocaines ont adopté une attitude de prudence accrue, se traduisant par un rationnement du crédit, particulièrement à l’encontre des emprunteurs jugés risqués. Les banques ont réorienté leurs financements vers les clients les plus sûrs et réduit leur offre globale».
Pour Kchikeche, l’expansion du crédit a un rôle positif sur la croissance réelle, mais elle comporte des limites. «L’augmentation du crédit au secteur privé exerce un effet positif sur la croissance du PIB non agricole. Le crédit alimente l’investissement des entreprises, finance la trésorerie des PME et soutient la consommation des ménages». Cependant, il avertit qu’«une expansion trop rapide du crédit peut créer des déséquilibres macroéconomiques et financiers. Lorsque le crédit bancaire croît plus vite que la production réelle, la demande globale augmente plus vite que la capacité d’offre, ce qui génère des tensions inflationnistes et un surendettement des ménages et des entreprises». Il précise que le système marocain reste sous contrôle avec un ratio crédit sur PIB d’environ 73%, mais que certains indicateurs, comme le taux de créances en souffrance, montrent que «la qualité du portefeuille de crédit des banques reste perfectible et l’endettement des ménages présente des signes de vulnérabilité».
Face à cette situation, Kchikeche insiste sur la nécessité de garde-fous pour éviter le surendettement tout en soutenant la croissance. «Le meilleur remède contre un surendettement malsain reste une économie qui croît en phase avec le crédit. Lorsque les revenus des ménages augmentent grâce à la croissance et à l’emploi, leur capacité d’emprunt progresse sans fragiliser leur situation». Il recommande également de diversifier les sources de financement, en développant le marché des capitaux, le capital-investissement, le microcrédit et les fintechs supervisées, afin de «réduire la pression sur les bilans bancaires et partager le risque plus largement». Pour Kchikeche, «le crédit doit évoluer au rythme du potentiel de l’économie. En deçà, le rationnement freine la croissance. Au-delà, l’excès alimente la surchauffe et accroît les vulnérabilités».








