Recouvrement des taxes locales: la tension monte, les syndicats haussent le ton sur fond de conflit entre l’Intérieur et les Finances

De gauche à droite: Noureddine Bensouda (Trésorier Général du Royaume), Nadia Fettah (ministre de l'Économie et des Finances) et Abdelouafi Leftit (ministre de l'Intérieur).

La mise en œuvre de la loi n°14-25 relative au recouvrement des taxes locales continue de susciter de fortes tensions au sein des perceptions relevant encore de la Trésorerie générale du Royaume (TGR). Le Syndicat national démocratique des finances (SNDF), affilié à l’Union marocaine du travail (UMT), dénonce des pratiques qu’il qualifie d’«autoritaires et illégales», révélant, selon lui, un profond décalage entre le cadre institutionnel de la réforme et sa mise en œuvre sur le terrain.

Le 25/12/2025 à 13h17

Présentée comme une réforme structurante de la gouvernance financière territoriale, la loi 14-25 vise à moderniser la fiscalité locale à travers le transfert progressif du recouvrement des taxes, jusque-là assuré par les perceptions de la TGR, vers des perceptions communales placées sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. Entré en vigueur le 12 juin 2025, le dispositif repose, dans sa première phase, sur la création de 92 perceptions communales censées constituer l’ossature d’un nouveau réseau comptable territorial. Or, la phase transitoire se déroule dans un climat de crispation croissante.

Selon des sources syndicales, plusieurs perceptions auraient été directement affectées par des comportements jugés «inappropriés» de la part de certains agents d’autorité. Des situations similaires ont été signalées dans les perceptions d’Assilah, M’diq, Beau Site à Casablanca, Berrechid, ainsi qu’à Rabat-Mabella. Dans cette dernière, les fonctionnaires auraient été sommés de quitter les lieux, avant que les serrures ne soient changées, sans notification formelle ni respect des procédures administratives.

Dans un communiqué diffusé dans la soirée du mercredi 24 décembre, le SNDF évoque des expulsions forcées de fonctionnaires, des changements de serrures et l’installation de bureaux réservés aux percepteurs communaux, menées, selon le syndicat, en dehors de tout cadre légal. «Nous assistons à un pur règlement de comptes entre le ministère de l’Intérieur et le Trésorier général du royaume, mais ce sont les fonctionnaires qui paient le prix», déplore ce syndicaliste, dénonçant un conflit institutionnel dont les agents feraient les frais.

Le SNDF dénonce une situation jugée intenable, pointant une contradiction manifeste entre les consignes de la TGR, qui aurait demandé aux fonctionnaires de rester dans leurs bureaux, et les interventions de représentants de l’autorité locale relevant du ministère de l’Intérieur. Des sources syndicales évoquent également l’absence du Trésorier général du Royaume, et l’accusent de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour désamorcer la crise.

À Berrechid, des images diffusées sur les réseaux sociaux montrent que l’affichage sur la façade de la perception a déjà été modifié. La mention de la perception affiliée à la TGR a été remplacée par celle de la perception communale relevant du ministère de l’Intérieur, alors même que la passation de service ne serait pas formellement achevée.

«Nous ne pouvons plus accepter cette manière de procéder», martèle Mohamed Daidaa, président du Conseil national du SNDF, rappelant que la passation de service doit impérativement se faire «dans les règles de l’art». Il souligne que les locaux doivent d’abord être réaffectés par l’administration des Domaines de l’État au profit du ministère de l’Intérieur. Autant d’étapes qui, selon lui, n’ont pas été respectées.

Ces tensions interviennent alors que la ministre de l’Économie et des Finances, Nadia Fettah, avait adressé, le 10 décembre 2025, une lettre explicative au Trésorier général du Royaume, Noureddine Bensouda, afin de clarifier le cadre de la mobilité des agents et les modalités de mise en œuvre de la réforme. Elle y posait deux principes fondamentaux: le volontariat strict en matière de mobilité et la préservation intégrale des droits acquis des fonctionnaires.

La ministre y précisait également les trois formules de mobilité proposées - mise à disposition, détachement ou intégration dans les statuts du personnel du ministère de l’Intérieur - tout en appelant à une approche fondée sur le dialogue, l’accompagnement et la pédagogie. Les agents non concernés par la mobilité devaient, quant à eux, être redéployés vers d’autres missions stratégiques au sein de la TGR ou du ministère des Finances.

Dans le même esprit, le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, avait adressé, le 11 décembre 2025, une circulaire aux walis et gouverneurs pour encadrer l’installation des 92 perceptions communales. Il y insistait sur la coordination avec la TGR, la libération encadrée des locaux, le recensement des documents et des données informatiques nécessaires au recouvrement et au contentieux, ainsi que sur l’accès immédiat aux systèmes d’information, avec un délai maximal de six mois pour régler les situations foncières complexes.

Selon le SNDF, ces orientations n’auraient pas été respectées sur le terrain. Une réunion s’est toutefois tenue ce mercredi entre Nadia Fettah et Abdelouafi Laftit, signe d’une volonté de reprise en main politique du dossier.

Enfin, une autre zone d’ombre demeure: celle du traitement du contentieux en cours et des restes à recouvrer. Selon les informations disponibles, ces dossiers restent, pour l’heure, entre les mains des percepteurs de la TGR, dans l’attente d’une clarification formelle sur leur éventuel transfert aux nouvelles perceptions communales.

Dans ce climat de tensions persistantes, le SNDF prévient qu’il ne compte pas en rester là. Dans son communiqué, il annonce l’organisation imminente d’un sit-in de protestation devant le siège de la Trésorerie générale du Royaume à Rabat, afin de dénoncer ce qu’il qualifie de «dérives graves» dans la mise en œuvre de la loi 14-25 et l’atteinte aux droits et à la dignité des fonctionnaires.

Le syndicat prévient que ce mouvement pourrait s’inscrire dans un programme de mobilisation plus large, appelé à monter en puissance si les pratiques dénoncées se poursuivent et si les orientations arrêtées par les ministères de l’Économie et des Finances et de l’Intérieur ne sont pas strictement appliquées sur le terrain.

Par Wadie El Mouden
Le 25/12/2025 à 13h17