Numérique: le droit à l’oubli, ce grand oublié

Le Maroc collabore activement avec les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon).

Revue de presseLe droit à l’oubli numérique, consacré en Europe, reste inexistant dans la législation marocaine malgré la multiplication des atteintes à la vie privée, comme l’affaire de la CNSS. Face à une digitalisation croissante, le Royaume doit garantir à ses citoyens le contrôle de leur identité numérique. Cet article est une revue de presse tirée du magazine Challenge.

Le 16/04/2025 à 19h29

À l’ère du tout-numérique, l’oubli est devenu un luxe. Ce que l’on publie, ce que l’on subit, ce que l’on fuit… tout reste. En Europe, ce constat a conduit à consacrer le droit à l’oubli numérique à travers le Règlement général sur la protection des données (RGPD).

Dans le Royaume, ce droit reste une notion floue, absente des textes, bien qu’elle soit plus que jamais d’actualité, relève le magazine Challenge, dans une analyse dédiée.

La digitalisation galopante de la société a effacé les frontières entre vie réelle et vie virtuelle. Résultat: des millions de citoyens Marocains se retrouvent prisonniers de leurs traces numériques.

Une question s’impose, dès lors. Avons-nous encore le droit d’effacer notre passé numérique?

En Europe, le RGPD a instauré un droit fondamental: celui de demander l’effacement de données personnelles devenues obsolètes, inexactes ou nuisibles. Ce droit permet à chacun de reprendre le contrôle sur son identité numérique.

Dans le Royaume, la situation est toute autre. Malgré la présence de la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP), le droit à l’oubli reste méconnu, et surtout non inscrit dans la législation.

L’affaire du piratage des données de la CNSS, révélant les informations sensibles de près de deux millions de citoyens, a brutalement rappelé les risques liés à cette lacune juridique. «Le numérique n’est plus une abstraction. Il est devenu une extension de notre identité –et de nos vulnérabilités», alerte Youssef Maddarsi, CEO de Naoris Consulting, cité par Challenge. «Une fois exposées, des données comme le nom, le salaire ou le RIB restent en circulation pour des années. Le droit à l’oubli numérique devient alors essentiel», a-t-il indiqué.

Ce droit, défini par l’article 17 du RGPD, donne à tout citoyen Marocain le pouvoir de demander la suppression ou le déréférencement de ses données personnelles, notamment lorsqu’elles portent atteinte à sa vie privée. Un garde-fou, démocratique, face aux dérives potentielles d’un monde hyperconnecté.

Dans le Royaume, la loi 09-08 sur la protection des données personnelles représente une avancée, mais, nonobstant, reste incomplète. Elle ne traite pas des mécanismes concrets de déréférencement ni de la suppression des contenus nuisibles en ligne.

Les défis qui se posent aux décideurs sont multiples: qui est responsable? Les moteurs de recherche, les hébergeurs, les plateformes numériques? Qui impose le droit? Le Royaume ne dispose-t-il pas d’interlocuteurs directs chez les géants du web, les fameux «GAFAM»? Et, in fine, comment arbitrer? Entre le droit à l’oubli et le droit à l’information, la ligne est en effet très fine.

«Le droit à l’oubli nécessite plus qu’une loi: il faut une refonte culturelle de notre rapport à la vie privée», souligne Maddarsi. Pour lui, «cela suppose une volonté politique, une mise à niveau juridique conforme aux standards internationaux, mais aussi une prise de conscience citoyenne».

Aujourd’hui, alors que le Royaume aspire à devenir un hub numérique régional, il est crucial de replacer l’humain au cœur de ce virage digital.

Intégrer le droit à l’oubli, c’est reconnaître que la mémoire numérique ne peut être infinie, si elle devient une sentence à perpétuité, souligne Challenge.

Par Nabil Ouzzane
Le 16/04/2025 à 19h29