Dans son dernier rapport annuel, la Cour des comptes a listé de nombreux dysfonctionnements et ambiguïtés qui sévissent dans le marché pharmaceutique marocain. Tout d’abord, l’organe dirigé par Zineb El Adaoui signale que les prix des médicaments sont excessifs au Maroc, notamment en raison des marges bénéficiaires et de taux de TVA particulièrement élevés.
Des marges bénéficiaires et un taux de TVA particulièrement élevés
Le rapport note ainsi que les marges bénéficiaires des pharmaciens varient entre 47% et 57% pour les médicaments dont le prix hors-taxes est inférieur ou égal à 588 dirhams. Pour les produits dont le prix de revient dépasse le seuil précité, les marges varient entre 300 et 400 DH par boîte, soit des montants largement supérieurs à ce que perçoivent les pharmacies dans des pays comme la Turquie ou la France.
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Autre facteur qui fait flamber les prix des médicaments: un taux de TVA élevé. Selon la Direction du médicament et de la pharmacie (DMP), le nombre de médicaments soumis à la taxe sur la valeur ajoutée est de 4.587, sur un total de 7.766 médicaments. Le taux de cette taxe au Maroc s’élève à 7%, contre 2,1% en France, pour les médicaments indemnisés par l’assurance maladie, 4% en Espagne et 5% au Portugal.
25% des médicaments sont en situation de monopole
Une portion de 25% de l’ensemble des médicaments commercialisés au Maroc, soit 1.229 références (dont 315 médicaments essentiels), est aujourd’hui en situation de monopole. Une situation qui rend difficile toute négociation avec les établissements pharmaceutiques détentrices de ces monopoles, afin de déterminer un prix de vente plus raisonnable.
Des médicaments commercialisés sans renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché
Curieusement, sur 5.307 médicaments commercialisés en 2021, 3.842 l’ont été sans obtenir le renouvellement d’autorisation de mise sur le marché. Comme le rappelle le document de la Cour des comptes, la durée de validité d’une autorisation de mise sur le marché est de 5 ans, et chaque établissement pharmaceutique industriel est tenu d’introduire une demande de renouvellement de ce sésame au moins 180 jours avant la date de son expiration. Une obligation dont lesdits établissements semblent allègrement se dispenser.
Zéro visibilité sur les stocks de médicaments
Le suivi du stock de médicaments se fait via des déclarations obligatoires des opérateurs. Sauf que cet impératif n’est pas toujours respecté, comme le notent les enquêteurs de la Cour des comptes. En effet, les établissements pharmaceutiques industriels ne déclarent pas l’état de leurs stocks à l’Observatoire national du médicament et des produits de santé, ou ne le font pas dans le délai imparti. Il en va de même pour les établissements pharmaceutiques de gros. Résultat, en 2020, le stock de réserve de 666 médicaments n’a pas été respecté.
Pire, le ministère de la Santé et de la Protection sociale ne dispose pas de données précises sur la production nationale des médicaments, et le système d’évaluation des besoins en médicaments essentiels reste incomplet.
Génériques: un cadre légal peu incitatif
Selon la Cour des comptes, le cadre légal en vigueur n’encourage pas suffisamment l’entrée des médicaments génériques sur le marché national. La durée des brevets des médicaments princeps au Maroc (entre 20 et 25 ans, selon la loi n°17-97 relative à la protection de la propriété industrielle) est relativement longue par rapport à celle en vigueur dans d’autres pays. À titre de comparaison, elle est limitée à dix ans seulement au sein des États membres de l’Union européenne.
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De plus, le décret relatif aux conditions et aux modalités de fixation du prix public de vente des médicaments fabriqués stipule qu’aucun médicament générique ne peut être commercialisé à un prix de vente public supérieur au prix de vente initial du médicament. Une disposition dont tiennent compte les établissements pharmaceutiques industriels pour concurrencer les médicaments génériques, notamment en baissant le prix de vente des médicaments originaux dont les brevets ont expiré.
D’ailleurs, les rapports d’inspection de la DMP font état d’absences régulières des pharmaciens responsables en pharmacies, de l’absence de systèmes de gestion de la qualité des produits commercialisés et de registres de contrôle des équipements.
Ce que recommande la Cour des comptes
Les processus actuels d’autorisation, de contrôle, de fixation et de révision des prix des médicaments ne permettent pas encore de rassurer pleinement sur la disponibilité et la qualité des médicaments, ainsi que sur leur accessibilité économique pour les citoyens. Pour remédier à ces insuffisances, la Cour des comptes a recommandé de veiller à la complétude et à la mise à jour régulière du cadre juridique régissant le secteur des médicaments.
La Cour a également recommandé au ministère de la Santé et de la Protection sociale de mettre en place une politique pharmaceutique nationale axée sur le développement de la production nationale, et de revoir les processus d’autorisation, de contrôle et de fixation des prix des médicaments, notamment les délais réglementaires d’octroi des autorisations de mise sur le marché et les méthodes de fixation et de révision des prix, de manière à garantir leur disponibilité et leur accessibilité économique.