Les inégalités territoriales risquent de se creuser davantage et menacer la cohésion sociale, selon l’économiste Mohammed Jadri

Hamza Saidi

Les disparités territoriales s’accentuent au Maroc: croissance éclatante dans certains pôles dynamiques, stagnation ou recul ailleurs. Une fracture régionale qui, faute de mesures fortes, pourrait mettre en péril l’équilibre social, avertit l’économiste Mohammed Jadri.

Le 08/09/2025 à 11h34

Les comptes régionaux pour l’année 2023 publiés récemment par le Haut-commissariat au plan (HCP) dressent un portrait contrasté de la santé économique du Maroc. Derrière la croissance nationale se cache une réalité alarmante: un profond fossé se creuse entre les régions dynamiques et celles qui sont à la traîne, accentuant les inégalités territoriales et sociales.

Une performance économique à deux vitesses

D’un côté, des régions affichent une croissance spectaculaire, tirée par des secteurs porteurs. Dakhla-Oued Ed Dahab caracole en tête avec une progression de 10,1%, suivie de Fès-Meknès (+8,9%) et Marrakech-Safi (+6,3%), bénéficiant respectivement de la pêche, d’une campagne agricole favorable et d’un rebond du tourisme et des services.

De l’autre, les pôles industriels historiques, Casablanca-Settat (+5%) et Tanger-Tétouan-Al Hoceima (+4,9%), confirment leur statut de locomotives nationales grâce à leur dynamisme industriel.

À l’opposé de ce tableau florissant, d’autres régions subissent de plein fouet les aléas climatiques. Béni Mellal-Khénifra (-1,3%) et l’Oriental (-1%) ont enregistré une contraction de leur économie, principalement due à une mauvaise campagne agricole, soulignant une dépendance préoccupante à ce secteur.

Des inégalités de richesse criantes

Le HCP relève également des disparités frappantes en termes de PIB par habitant. Celui-ci varie, en effet, du simple au triple, passant de plus de 89.000 dirhams dans la région de Dakhla-Oued Ed Dahab à 25.000 dirhams seulement dans celle de Drâa-Tafilalet. Cet écart absolu moyen s’est même élargi en 2023.

La consommation des ménages, autre indicateur de vitalité économique, est tout aussi concentrée: cinq régions seulement se partagent 74% de la consommation nationale totale, confirmant la polarisation extrême de la richesse.

«À terme, la cohésion sociale du pays est en jeu»

Interrogé par Le360 sur ce constat, l’économiste Mohammed Jadri a livré une analyse sans fard des causes et des risques de cette situation.

Pour lui, l’explication première réside dans la «forte concentration de la richesse dans quelques pôles économiques» comme Casablanca, Rabat ou Tanger. Ces hubs concentrent les infrastructures, les investissements et les emplois qualifiés, créant un effet d’aimant.

À l’inverse, beaucoup de régions «restent dépendantes d’une agriculture fragile, avec peu d’industries et de services structurés», note-t-il. Le déficit en capital humain et en compétences locales accentue encore ce décalage, ajoute-t-il. Enfin, poursuit-il, «certaines régions souffrent d’un manque d’ingénierie de projets et de contraintes géographiques qui limitent leur attractivité».

La situation risque même de s’empirer si rien n’est fait pour la redresser, selon notre interlocuteur qui explique que la persistance de cette tendance menace d’aggraver les inégalités, entraînant davantage de migrations internes, une pression accrue sur les villes et un «sentiment d’exclusion dans les territoires laissés pour compte». «À terme, c’est la cohésion sociale du pays qui est en jeu», avertit-il.

Les pistes pour une réduction des écarts

L’expert propose une feuille de route articulée autour de quatre priorités. Il s’agit notamment de renforcer la décentralisation en dotant les régions de vrais moyens financiers et humains, désenclaver les territoires par des investissements massifs dans les infrastructures (routes, ports, numérique).

Il s’agit aussi d’adapter la formation professionnelle aux filières locales porteuses (agro-industrie, tourisme durable, énergies renouvelables) et de soutenir les PME locales par un accès facilité au crédit, de l’accompagnement et des incitations fiscales.

Des leçons à tirer de l’international

Mohammed Jadri invite enfin à s’inspirer des modèles qui ont fait leurs preuves ailleurs: les fonds de cohésion de l’Union européenne pour investir dans les régions défavorisées, les recommandations de l’OCDE sur une décentralisation efficace, et les «grappes industrielles» asiatiques qui combinent innovation et formation pour transformer des territoires entiers.

La leçon pour le Maroc est claire: seule «une stratégie intégrée, qui combine infrastructures, formation, incitations et bonne gouvernance locale» pourra relever le défi de la convergence régionale et assurer une croissance inclusive et durable pour tous les Marocains.

Par Lahcen Oudoud
Le 08/09/2025 à 11h34