Fidèle à une tradition qu’elle a instaurée depuis plusieurs années, la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM) a limité sa contribution au débat sur le Projet de Loi de Finances (PLF) de 2024 à une série de «revendications» à caractère fiscal. Faisant une lecture restrictive et comptable du document du budget comme compilation de mesures fiscales dénuée d’orientations économiques, elle s’est contentée de propositions, anciennes pour la plupart, sans les argumenter suffisamment. Accentuant ainsi le caractère routinier de l’exercice et s’éloignant de tout effort d’innovation, sur la forme et dans le fond.
En se focalisant sur les revendications fiscales au lieu de présenter une véritable plateforme de propositions économiques et sociales, l’organisation patronale vise probablement à répondre aux désidératas de ses adhérents, oubliant au passage qu’elle restreint leurs horizons intellectuels et appauvrit le débat économique.
N’était-il pas plus pertinent de saisir l’occasion de la lettre de cadrage du Chef de Gouvernement, dans laquelle, pour rappel, il s’est longuement arrêté sur les réformes en cours et le PLF 2024, pour rappeler au gouvernement la vision de la CGEM sur les déterminants de la compétitivité de l’entreprise au Maroc? Transcender la seule dimension fiscale en l’intégrant dans une structure d’incitations plus vaste, comprenant les coûts salariaux et la législation du travail: l’encouragement de la formation de base et des compétences pouvant faciliter une montée en gamme de nos produits; une fiscalité qui encourage l’investissement, la contribution équitable de l’ensemble des activités, des secteurs et corporations à l’impôt; des modes de financement appropriés et compétitifs; la sensibilisation à l’importance des fonds propres de l’entreprise; une politique économique, monétaire et de change priorisant la croissance; l’accélération de la transition du secteur productif vers les énergies propres et l’intérêt des économies d’énergie; l’aide à la recherche & développement dans le secteur privé et à l’acquisition de nouvelles technologies… La liste est longue.
Il reste, pour compléter ce tour d’horizon des déterminants de compétitivité de l’économie et de l’entreprise, à réintroduire un élément qui a été négligé depuis de longues années, à savoir une politique d’aide à la création et au développement de la PME. L’économie marocaine a payé cher la dissolution de la Fédération de la PME de la CGEM et le renoncement au Secrétariat d’Etat aux PME. Leur maintien aurait permis le développement d’un tissu de PME constitué en réseaux, capable de résister à l’avalanche d’accords de libre-échange signés par notre pays au début des années 2000. Aujourd’hui, on se retrouve avec un nombre très faible de PME dans le secteur productif. Et celles qui restent vivotent sans exporter significativement, sans innover et sans créer d’emplois. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un coup d’œil rapide sur la structure de nos exportations et nos importations. Le Maroc importe massivement les biens intermédiaires (activités de prédilection des PME), ce qui réduit considérablement la valeur ajoutée qui reste dans le pays. Les ventes des PME marocaines sur le marché local demeurent elles aussi très faibles (taux de pénétration). La compétitivité d’un système productif est directement conditionnée par la qualité et la densité de ses PME. Les exemples sont nombreux de compétitivité d’une économie soutenue par les PME: Allemagne, Italie…
Réduire le débat sur la compétitivité à la seule dimension fiscale est appauvrissant (cf. supra) et contreproductif. En menant un raisonnement par l’absurde, en cas de réponse favorable du gouvernement à l’ensemble des revendications fiscales de la CGEM, cela va-t-il rendre nos entreprises compétitives? Laissons au lecteur la réponse. Il est aussi contreproductif dans la mesure où il renvoie à une image négative, présente dans la société, de l’entreprise intéressée fortement par ce qu’elle peut soutirer à l’Etat sous forme d’aides, bonifications et avantages fiscaux. Faisant peu de cas des inégalités que la consultation de l’indice de Gini sur les inégalités sociales confirme.
La compétitivité que doit chercher l’entreprise, l’entrepreneur, ne doit pas se limiter à la capacité de réaliser une plus grande marge à court terme, une plus grande part de marché, elle doit s’inscrire dans une dynamique de compétitivité pays à moyen et long terme. Celle qui accroît l’emploi et le niveau de vie de la population. Seule celle-ci est pérenne et assure la croissance dans un environnement politique et social stable.