Le Maroc, plateforme économique avancée des flux commerciaux africains, selon BCG

Les bureaux du Boston Consulting Group.

À horizon 2033, le commerce africain devrait progresser de 3,5% par an, selon Boston Consulting Group, dans un contexte de fragmentation des échanges mondiaux. Au sein de cette recomposition, le Maroc se distingue par sa capacité à capter et redistribuer les flux commerciaux entre l’Europe, l’Afrique et les marchés émergents, en s’appuyant sur des infrastructures logistiques, industrielles et réglementaires déjà matures.

Le 16/12/2025 à 13h07

La recomposition du commerce international, marquée par la montée des barrières tarifaires, le durcissement des normes environnementales et la régionalisation des chaînes de valeur, redessine les hiérarchies économiques mondiales. Pour les économies africaines, cette phase constitue à la fois un choc exogène et une opportunité de repositionnement. D’après le rapport «Africa Unleashed: Seizing Opportunity in a Shifting Geopolitical Landscape», publié par Boston Consulting Group (BCG), certains pays disposent d’avantages structurels leur permettant de tirer parti de cette transition. Le Maroc figure parmi les économies les mieux armées pour convertir ces mutations en gains économiques durables.

Selon le communiqué de BCG, la fragmentation du commerce mondial entraîne des coûts croissants pour l’Afrique. La hausse des droits de douane et les nouvelles contraintes réglementaires pourraient générer jusqu’à 5 milliards de dollars de charges supplémentaires sur les exportations du continent. À cela s’ajoute une pression financière accrue, liée à l’alourdissement de la dette souveraine et à la contraction progressive de l’aide internationale, dont 50 à 70 milliards de dollars de flux seraient susceptibles d’être remis en cause à moyen terme. Ces facteurs fragilisent les équilibres macroéconomiques des pays les plus dépendants des financements extérieurs.

Dans ce cadre, BCG adopte une lecture économique différenciée, soulignant que la capacité d’adaptation varie fortement selon les structures productives et logistiques. Le Maroc apparaît comme un cas singulier, en raison de son intégration avancée aux chaînes de valeur européennes, combinée à une ouverture croissante vers l’Afrique et les économies du Sud. Cette double insertion confère au Royaume une fonction d’interface économique, capable de capter des flux commerciaux multiples et de les transformer localement.

Au demeurant, l’analyse de BCG repose sur une enquête menée auprès de plus de 350 dirigeants africains, en partenariat avec l’Africa CEO Forum, ainsi que sur un modèle de prévision du commerce mondial fondé sur plus de 500 millions de données commerciales et macroéconomiques, note le communiqué.

⁠Le Maroc, interface productive entre Europe, Afrique et marchés émergents

D’après ces projections, le commerce total de l’Afrique progresserait en moyenne de 3,5% par an d’ici 2033, un rythme supérieur à celui de l’Union européenne, attendu autour de 2%. Cette dynamique traduit un rééquilibrage progressif des échanges mondiaux en faveur des marchés émergents. Toutefois, cette croissance ne sera pas uniforme. Le rapport souligne une reconfiguration géographique des flux, avec un élargissement marqué du corridor Afrique–Chine, dont la valeur devrait augmenter de 173 milliards de dollars à horizon 2033, contre une progression estimée à 100 milliards avec l’Union européenne. Les échanges avec l’Inde, l’ASEAN et les États-Unis afficheraient également une trajectoire haussière, mais plus modérée. Pour le Maroc, cette évolution renforce l’enjeu de diversification commerciale, sans remettre en cause un ancrage européen historiquement central pour son appareil productif.

Sur le plan économique, le Royaume bénéficie d’atouts tangibles. D’après BCG, les plateformes industrielles et logistiques marocaines constituent un socle opérationnel rare à l’échelle du continent. Le complexe portuaire de Tanger Med, les écosystèmes exportateurs de l’automobile et de l’aéronautique, ainsi que la montée en gamme de l’agro-industrie et des énergies renouvelables, renforcent la capacité du pays à s’insérer dans des chaînes de valeur à plus forte valeur ajoutée. Cette configuration confère au Maroc un avantage comparatif, mais implique également une exposition accrue à la complexité réglementaire internationale.

Le rapport insiste notamment sur l’impact économique des nouvelles normes climatiques. Des dispositifs tels que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM) de l’Union européenne transforment la durabilité en variable économique déterminante. Pour les entreprises marocaines, fortement intégrées aux marchés européens, la conformité environnementale devient un facteur de compétitivité au même titre que les coûts de production, la productivité ou la qualité industrielle.

ZLECAf et compétitivité, les nouveaux déterminants de la valeur

BCG identifie par ailleurs la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) comme un levier structurant pour les économies capables d’en exploiter le potentiel. Selon le cabinet, la ZLECAf pourrait accroître de 32% les exportations intra-africaines et contribuer à l’émergence d’un marché intégré estimé à 3.400 milliards de dollars. Pour le Maroc, l’enjeu économique ne se limite pas à l’expansion des échanges, mais réside également dans la capacité à jouer un rôle de plateforme régionale, facilitant l’intégration commerciale grâce à ses accords préférentiels, ses infrastructures et son expertise industrielle.

Le rapport souligne toutefois que la mise en œuvre de la ZLECAf demeure progressive et inégale, freinée par des barrières non tarifaires persistantes et des déficits logistiques. BCG rappelle à cet égard que l’Union européenne a nécessité plus de quatre décennies pour bâtir un marché unique pleinement fonctionnel, suggérant que les retombées économiques de la ZLECAf s’inscriront dans un horizon de long terme.

Du point de vue microéconomique, le rapport fait observer une montée en puissance de la prise en compte du risque géoéconomique dans les stratégies d’entreprise. Selon l’enquête, 82% des dirigeants africains estiment que les tensions géopolitiques influencent directement leurs décisions d’investissement et d’expansion, tandis que 63% demeurent confiants quant aux perspectives de croissance. Pour les entreprises marocaines, cette équation se traduit par un besoin accru d’anticipation réglementaire, de veille tarifaire et d’analyse des flux d’investissements, notamment en provenance d’Europe, de Chine et des pays du Golfe.

Ainsi, l’adaptation passe également par une coordination renforcée entre politiques publiques et stratégies privées. Le Maroc, engagé dans des trajectoires d’industrialisation verte, de développement de l’hydrogène et d’expansion des énergies renouvelables, dispose d’un cadre cohérent pour aligner compétitivité économique et exigences climatiques, tout en consolidant son attractivité pour les investissements productifs.

Par Mouhamet Ndiongue
Le 16/12/2025 à 13h07