Le Maroc face au boom du cash: +131% en dix ans

Une personne en train de compter des billets de banque.

Malgré l’essor des paiements digitaux, le cash continue de dominer l’économie marocaine. Après un ralentissement conjoncturel en 2024, lié notamment à l’amnistie fiscale, la circulation fiduciaire repart fortement à la hausse en 2025. Le niveau atteint reste structurellement élevé et traduit la persistance de facteurs profonds, économiques, culturels et institutionnels, qui freinent la transition vers les paiements électroniques.

Le 30/11/2025 à 11h55

La lecture des données publiées par Bank Al-Maghrib sur la circulation fiduciaire confirme une réalité paradoxale: malgré l’accélération des paiements digitaux, des cartes bancaires, du mobile banking et de la digitalisation des services publics, le cash continue de gagner du terrain dans l’économie marocaine.

La progression est certes moins explosive qu’entre 2020 et 2023, mais le niveau atteint demeure structurellement élevé, avec un retour à la hausse en 2025. Cette dynamique révèle une série de facteurs économiques, sociaux, culturels et institutionnels qui expliquent la résistance du cash.

L’année 2024 a, en fait, connu une progression limitée de la circulation fiduciaire (+5,2% à 414,4 milliards de dirhams), loin de la moyenne de +12% observée lors des quatre années précédentes. Mais ce ralentissement est essentiellement conjoncturel: il s’explique par l’amnistie fiscale qui a encouragé les détenteurs de liquidités à les réinjecter dans les banques, provoquant un afflux exceptionnel de dépôts et un retour de billets en décembre.

Une fois cet effet exceptionnel dissipé, la tendance de fond réapparaît: en 2025, la circulation fiduciaire repart à la hausse (+9,8% avec un encours de 467,7 milliards de dirhams à fin septembre). Cela confirme que l’économie nationale reste structurellement dépendante de la monnaie physique.

Le cash pèse 29% du PIB

Sur dix ans, la hausse du cash en circulation est massive: +131% entre 2014 et 2024. Cette augmentation dépasse très largement la croissance nominale du PIB. Le ratio cash/PIB, passé de 22% en 2019 à 29% en 2024, témoigne d’un rôle accru de la monnaie fiduciaire dans les échanges.

L’analyse infra-annuelle montre que la demande de cash obéit toujours aux mêmes cycles: Ramadan, Aïd Al-Adha, saison estivale qui génèrent une forte consommation et des apports de la diaspora, coïncidant avec la fin d’année, avec une activité commerciale renforcée.

Ces moments provoquent des flux nets importants, en hausse d’une année à l’autre. Même avec l’essor des cartes et du paiement mobile, ces comportements saisonniers restent déterminants dans la demande de billets.

La circulation fiduciaire est très concentrée, avec une part de 99% de la valeur du cash en circulation pour les billets et une proportion de 75% de la valeur et 57% du volume pour les coupures de 200 dirhams. Le billet de 200 dirhams s’impose ainsi comme la coupure privilégiée de la thésaurisation.

La progression du cash entraîne une tension mécanique sur la liquidité des banques. En 2024, le besoin de liquidité bancaire a connu une nette hausse, s’élevant à 123,7 milliards, contre 83,2 en 2023 et les interventions de Bank Al-Maghrib pour satisfaire les demandes de liquidités exprimées par les banques ont bondi de 96,8 à 137,1 milliards.

Plus les agents économiques retirent du cash, plus les dépôts diminuent, et plus les banques dépendent du refinancement auprès de la banque centrale. Cette situation renchérit le coût de financement et réduit la marge de manœuvre du système bancaire.

Ce qui montre que la digitalisation n’avance pas assez vite pour réduire le cash. En effet, le cash reste dominant, malgré la croissance à deux chiffres des paiements électroniques, l’essor des portefeuilles mobiles, la multiplication du terminal de paiement électronique (TPE), les politiques publiques d’inclusion financière.

Pourquoi le cash reste dominant

Selon les analystes, la prédominance du cash s’explique d’abord par le poids structurel de l’économie informelle, qui continue d’absorber une part importante des transactions, et par la réticence de nombreux acteurs à la traçabilité.

À cela s’ajoutent des habitudes de paiement profondément ancrées, notamment dans les services, l’artisanat, les locations ou certaines professions libérales, où le cash reste souvent le seul moyen accepté.

Cette préférence pour la liquidité favorise une forte rétention de billets en dehors du circuit formel, qu’il s’agisse de réaliser des transactions importantes hors du système bancaire, de stocker de la valeur ou de préserver la confidentialité.

Enfin, si l’usage des solutions numériques progresse, la confiance qu’elles inspirent demeure encore insuffisante pour remplacer l’argent liquide. La transition vers le paiement digital requiert ainsi non seulement des infrastructures adaptées, mais aussi une transformation culturelle et économique en profondeur.

Tant que ces piliers ne seront pas solidement ancrés, la monnaie fiduciaire restera un pilier incontournable des échanges. Le ralentissement temporaire de 2024 n’a pas modifié la tendance: le cash demeure roi, et 2025 confirme ce retour de la croissance.

Par Lahcen Oudoud
Le 30/11/2025 à 11h55