Le rapport annuel au titre des années 2019 et 2020 de la Cour des comptes, rendu public cette semaine, consacre tout un chapitre au secteur de l’eau. Alors que le Maroc enregistre cette année sa pire sécheresse depuis 1981, ce rapport tombe à point nommé, car il met en évidence les nombreuses carences qui caractérisent la gestion du secteur de l’eau dans le Royaume.
Pour bien mesurer l’ampleur du défi à surmonter, la Cour plante d’emblée le décor. Aavec un potentiel en ressources hydriques estimé à 22 milliards de m3 par an, le Maroc figure parmi les 20 pays les plus «stressés» au monde en termes de disponibilité de ces ressources. Une telle situation appelle une gestion optimale de l’eau, or c’est loin d’être le cas, comme le souligne la Cour dans son rapport.
De l’eau déversée en mer faute d’exploitationLes magistrats de la Cour relèvent tout d’abord des insuffisances dans la mobilisation et la valorisation des ressources hydriques: «la mobilisation des ressources en eau fait face à un déséquilibre structurel interbassins au niveau des apports hydriques annuels, avec de grandes disparités temporelles et spatiales».
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En conséquence, déplorent les auteurs du rapport, «certains bassins sont excédentaires et les eaux stockées dans les barrages sont parfois déversées en mer faute d’exploitation, alors que d’autres peinent à disposer des ressources hydriques pour assurer l’alimentation en eau d’irrigation voire même en eau potable». A ce titre, la Cour des Comptes a recommandé de réaliser les projets matures de connexions interbassins.
Envasement des barragesUn autre problème de taille soulevé par la Cour des comptes concerne l’envasement des barrages qui «réduit leur capacité globale de stockage de 75 millions de m3 par an». Les interventions dans le cadre du Plan national d’aménagement des bassins versants ont permis certes, «des acquis importants», reconnait la Cour, toutefois, les réalisations restent en deçà des objectifs fixés puisque seulement 50% de la superficie programmée a pu être traitée sur la période prévue (1996-2016). Ainsi, la Cour recommandé de développer la gestion écosystémique pour mieux protéger les barrages contre l’envasement.
Par ailleurs, la Cour note qu’en matière de valorisation de l’eau dans l’irrigation, «un décalage existe entre les aménagements hydro-agricoles et les superficies potentiellement irrigables à partir des barrages». Ce décalage est estimé en 2018 à 158.000 ha.
A ce titre, les magistrats de la Cour recommandent de veiller à la synchronisation des aménagements hydroagricoles à l’aval des nouveaux barrages avec leur construction et rattraper le retard dans les aménagements à l’aval des barrages déjà existants.
Surexploitation des eaux souterrainesLa mobilisation des ressources est marquée également par la «surexploitation des eaux souterraines, estimée à 1,1 milliard de m3 par an, conjuguée à la non utilisation d’un volume de 1,7 milliard de m3 par an initialement stocké dans les barrages», fait savoir la Cour.
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Pourtant, ajoute la Cour, malgré l’amenuisement de la marge de manœuvre dans la mobilisation des ressources en eau conventionnelle, les eaux non conventionnelles se limitent à 0,9% de la totalité des ressources en eau mobilisées.
Dans ce cadre, la Cour des comptes recommande l’encouragement du recours aux sources non conventionnelles, notamment le dessalement, la réutilisation des eaux usées et la collecte des eaux pluviales.
Pollution et prélèvements non autorisésConcernant la préservation des ressources en eau, «le bilan d’inventaire et de sécurisation des biens du domaine public hydraulique est particulièrement faible et le recours aux mécanismes juridiques de protection demeure limité», indique le rapport.
A cela s’ajoute le coût élevé de la dégradation des ressources en eau liée à la pollution, estimé à 1,26% du PIB par la Cour des comptes, dont 18,5% est liée à la pollution industrielle hydrique.
En outre, le nombre des préleveurs d’eau non autorisés est élevé puisqu’il a été estimé en 2017 à plus de 102.264 contre 52.557 préleveurs autorisés. Pour protéger ces ressources, le législateur a créé plusieurs corps de police de contrôle. Néanmoins, déplore la Cour, «la multiplicité de ces corps, travaillant d’une manière cloisonnée, a limité leur efficacité».
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La Cour recommande dans ce sens de prendre les mesures nécessaires permettant l’amélioration de la délimitation et de la protection du domaine public hydraulique, et de mettre en place les conditions nécessaires à l’application du principe «pollueur-payeur», ainsi que le renforcement de la police de l’eau.
Une tarification à revoirLa problématique du financement du secteur de l’eau est également abordée dans le rapport. Et le constat de la Cour est sans équivoque: «le modèle économique et financier actuel nécessite d’être revu afin d’en assurer la viabilité en tenant compte de la raréfaction croissante des ressources en eau, du caractère très capitalistique des investissements et des contraintes d’ordre social».
«Devant les difficultés de financement constatées, le recours au partenariat public-privé (PPP) devrait être davantage développé», préconisent les auteurs du rapport. Ils recommandent dans ce sens d’optimiser l’allocation des ressources financières destinées au secteur de l’eau et de veiller à l’amélioration de l’efficacité des investissements, notamment à travers l’adoption de modes de financement novateurs, comme les PPP.
De même, «le système tarifaire actuel n’est plus adapté à une gestion rationnelle de la ressource», sachant que le financement du secteur est intimement lié au système de tarification, estime la Cour. Elle préconise «de réaliser une étude sur le ciblage optimal», et de procéder, le cas échéant, à une révision du système de tarification de l’eau et de l’assainissement.