Fruit de décisions politiques courageuses: le Maroc devient un «relais d’investissements mondiaux»

Adnan Debbarh.

ChroniqueÀ l’instar du Mexique et du Vietnam, le Maroc est en train de gagner son pari pour conquérir le statut convoité de pays relais d’investissements. Un rapport publié en avril par la Banque mondiale le confirme. Retour sur les éléments déclencheurs d’un positionnement régional, voire africain, acquis de haute lutte.

Le 06/06/2024 à 12h02

Les Marocains partagent une conviction commune, et ce malgré les manifestations récurrentes de mécontentements et des critiques adressées à leurs élites politiques, économiques et intellectuelles: leur pays avance. Lentement, au goût de l’écrasante majorité, mais il avance. Ces avancées seraient attribuables essentiellement, toujours selon la conviction populaire, à la Baraka de la pléthore de marabouts que cette terre bénie a enfantée, ils se comptent par milliers et ne sont pas des moindres, et aussi aux bienfaits du soufisme porteur de grâce qui a élu domicile ici avant d’irradier ailleurs.

En attendant l’apparition au Maroc d’un auteur aussi talentueux et imaginatif qu’Octavio Paz, grand poète et essayiste mexicain, qui a su expliquer à ses compatriotes les ressorts de leur âme secrète, leur conscience de soi et des choses, que l’on permette à votre serviteur d’avancer une explication plus triviale, à contre-courant peut-être, du pourquoi de ce progrès, certes relatif, mais progrès tout de même.

Au milieu des années 90, peu de gens au Maroc étaient formés pour évaluer l’impact à long terme sur l’économie d’abord et la société ensuite de la décision, «aux motivations d’abord politiques», de signer un accord de libre-échange avec l’Union européenne. Au sein du patronat même, concerné au premier chef et à l’époque regroupé au sein de la CGEM, une fois la surprise passée, les avis se sont partagés entre les optimistes qui ont cru que c’était une aubaine financière et commerciale, permettant à notre économie d’opérer un saut qualitatif, à l’instar de l’Espagne des années 80 quand elle a rejoint la CEE, et les pessimistes qui ont vite prédit la destruction du semblant d’industrie constitué par le Maroc jusqu’alors.

Trente années plus tard, qui des deux camps avait vu juste? Le téméraire ou le timoré?

Disons: ni l’un ni l’autre. Si le Maroc n’a pas pu se hisser au niveau de l’Espagne économiquement, il n’a pas perdu l’ensemble de son industrie, ce qui est resté a dû s’adapter.

L’accord de libre-échange (ALE) signé avec l’UE, le premier d’une longue série d’accords -au jour d’aujourd’hui, nous en avons dépassé la soixantaine, signés avec presque autant de parties, aura ouvert l’appétit des décideurs politiques, aux motivations plus diplomatiques qu’économiques, pour ce genre d’exercice, suivi docilement, il faut le dire, par un secteur privé ayant développé, survie oblige, de grandes capacités d’adaptation et d’ubiquité face aux nouvelles donnes. Les opérateurs économiques privés se sont reconvertis d’industriels en promoteurs immobiliers, pêcheurs, agriculteurs, fournisseurs du secteur public, négociants, distributeurs de grandes marques étrangères... au gré des opportunités et du taux de rentabilité.

Alors, quel bénéfice le Maroc a-t-il tiré de la signature de cette pléthore d’ALE?

Sur le volet économique stricto sensu, pratiquement sur l’ensemble des ALE signés, nous sommes en situation de déficit de la balance commerciale. Que ce soit avec l’UE ou la Turquie, pour ne citer que ces deux parties à la fois impactants économiquement et ayant une portée emblématique, notre économie est encore loin en diversité et en compétitivité.

L’impact positif de la signature des ALE s’est concrétisé non pas sous la forme de réalisations économiques immédiates, mais a pris celle d’un vaste mouvement de modernisation des textes juridiques, d’amélioration de la gouvernance de nombre d’institutions publiques, de quête de transparence dans les échanges, d’avancées sociales, de reclassement des priorités au bénéfice de l’instruction et de la formation, de l’inclusion sociale et d’une attention particulière portée à la qualité des infrastructures.

C’est ce large mouvement de modernisation de la société, de la gouvernance et des infrastructures qui a été le déclencheur de l’intérêt d’investisseurs étrangers de poids. Sa poursuite va permettre au Maroc de gagner sa place de pays relais d’investissements, à l’instar du Mexique et du Vietnam. Relais d’entreprises étrangères produisant au Maroc pour les marchés européens, nord-américains et africains.

À condition que cette dynamique se poursuive en se diversifiant. Après l’automobile, l’aéronautique et maintenant les batteries pour véhicules électriques, il faudrait viser d’autres écosystèmes: chimie, santé, machines-outils, textile et agroalimentaire… les retombées sur la croissance ne se feront pas attendre.

Reste un bémol: la place du capital national qui peine à trouver sa place. Probablement, il faudrait lui apporter un appui public et utiliser des moyens supplémentaires pour favoriser un démarrage qui se fait attendre.

Finalement, c’est la décision politique de signer un ALE avec l’UE au milieu des années 90 qui commence à porter ses fruits. Fruits qui ont pris du temps à arriver à maturité à l’aune de la maturation de nos élites politiques et économiques dans un monde en mouvement et une société qui a accumulé beaucoup de retards.

Le Maroc avait-il besoin d’être mis «sous contrainte» d’un ALE pour se moderniser, ou ce n’était que le petit élément déclencheur de forces profondes internes en attente d’un signal?

Dans cette affaire, encore une fois, la décision politique et diplomatique au plus haut niveau «sous contrainte ou inspirée» a vu juste dans le choix de solution de sortie.

Par Adnan Debbarh
Le 06/06/2024 à 12h02