Un loyer qui sera multiplié par vingt! Voilà l’une des décisions phares, concernant le célèbre restaurant La Sqala de Casablanca, adoptées lors de la session ordinaire du Conseil de la ville de Casablanca, tenue le 5 mai dernier. Un appel à manifestation d'intérêt devra être lancé avec une réévaluation du loyer mensuel qui passe ainsi de 2700 à 53.000 dirhams.
«C'est un plancher minimum de location qui a été fixé par une commission créée par le gouverneur. La mairie n'est même pas représentée au sein de cette commission qui nous soumet un rapport d'évaluation», nous explique El Houcine Nasrallah, vice-président du Conseil de la ville, chargé de la gestion du patrimoine communal.
Selon cet élu du parti de l'istiqlal, cette même démarche d'évaluation sous la supervision du ministère de l'Intérieur, il va falloir la dupliquer sur l'ensemble des 1918 biens appartenant aux 16 arrondissements de la métropole.
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Et par «bien», il faut entendre une propriété foncière ou immobilière, titrée ou pas, qui peut contenir plusieurs unités. A titre d’exemple, un marché communal, recensé comme un seul bien, peut contenir plusieurs magasins. «Là, on vient de nous notifier que le rapport concernant le Vélodrome est fin prêt, ce qui nous permettra d'adopter à la prochaine session un revenu locatif plancher et lancer l'appel à manifestation d'intérêt pour cet espace», annonce l’élu.
Il faut le reconnaître, la gabegie dans l'exploitation du patrimoine communal de Casablanca est un secret de polichinelle. Depuis le début des années 2010, on sait bien que des logements, des restaurants, des chalets, des immeubles, des salles de fêtes, ou encore des piscines sont exploités moyennant des montants dérisoires qui n'ont pas été révisés des décennies durant.
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Pis encore, jusqu'à tout récemment, le Conseil de la ville n'était même pas en mesure de savoir quelle était l’exacte étendue de son patrimoine, ni d'avoir une idée précise sur sa valeur marchande. Un recensement, confié à Casa Patrimoine, a finalement «permis d'identifier l’emplacement exact, la consistance et l’état physique des biens communaux, le statut de propriété, l’immatriculation, les occupants actuels, le montant des loyers ainsi qu'une indication sur la valeur de marché», explique Ahmed Taoufik Naciri, directeur de cette Société de développement local.
La finalisation de cette étude a d'ailleurs permis à la Commune d'encaisser un montant de 5 millions de dollars, en février 2021, dans le cadre d’un prêt accordé par la Banque mondiale. A l'issue d'une de leurs missions de vérification, les experts de l'institution de Bretton Woods ont même salué les «efforts en cours pour gérer de manière efficace le patrimoine de la ville et améliorer son potentiel en matière de génération de recettes».
Des loyers bradésC'est que le potentiel est effectivement énorme, eu égard aux chiffres effarants de ce premier inventaire. La commune dispose par exemple de 70 unités d'habitations dans le très huppé arrondissement d’Anfa, mais celles-ci ne rapportent, dans leur ensemble, que la dérisoire somme de 4170 dirhams par mois… Et au total, les loyers perçus de toutes les habitations appartenant à la ville dépassent à peine le million de dirhams par an, alors qu'il s'agit de 2930 unités, totalisant une surface de plus de 2,5 millions de mètres carrés. Le prix moyen de location ressort ainsi à 3 centimes par mois et par mètre carré.
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Pour les biens commerciaux, les chiffres sont tout aussi effarants. Les recettes mensuelles des 14.957 commerces se limitent à 1,7 million de dirhams, faisant ressortir une moyenne de 114 dirhams par local. Pis encore, ces commerces sont concentrés dans des marchés communaux, qui coûtent chaque année à la ville plus de 5 milliards de dirhams, alors qu'ils sont censés être une source de revenus.
En effet, entre 2018 et 2020, la ville a dépensé dans les 78 millions de dirhams dans la mise à niveau de ses marchés, la masse salariale du personnel qui y a été affecté, ainsi que dans les factures d'eau et d'électricité, alors que les recettes supposées s'élèvent à peine à 62 millions de dirhams.
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Le nouveau bureau semble déterminé à inverser cette tendance. Il affiche des objectifs ambitieux quant à l'optimisation de l'occupation des locaux communaux et du parc locatif. Il est ainsi question d'atteindre les 40 millions de dirhams de recettes, suite à la régularisation et à la révision des loyers à horizon 2024, en plus de quelque 5 millions de dirhams émanant du recouvrement des arriérés.
Une stratégie globaleMais avant d'en arriver là, la Commune devrait commencer par assainir son patrimoine foncier. «Près du tiers des biens ne sont même pas immatriculés», rappelle El Houcine Nasrallah, qui précise qu'un plan d'action a été élaboré sur les trois prochaines années pour la qualification juridique de quelque 600 biens construits ou terrains nus.
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La mairie aura également maille à partir avec certains exploitants face auxquels elle devrait s'engager dans des marathons judiciaires pour la récupération et la valorisation de son patrimoine. «Il s'agit d'une intervention à plusieurs niveaux qui commence par la revalorisation et harmonisation de la gestion du parc locatif, la préparation d’un plan de cession de certains biens, l'exploration du potentiel de gestion en partenariat public privé pour certains actifs et enfin, l’optimisation des frais de gestion de ce patrimoine immobilier», explique un expert.
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Mais le jeu en vaut vraiment la chandelle. Ce patrimoine communal est estimé à quelque 75 milliards de dirhams. Le Conseil actuel compte d'ailleurs sur la cession d'une partie de ce trésor de guerre pour couvrir des dépenses d’équipement, de l'ordre de 1 milliard de dirhams à horizon 2027, grâce notamment à la vente de certains terrains nus, de bâtiments et locaux mais aussi de délaissés de voirie.
Une manne qui est censée être investie dans des opérations immobilières, qui permettront d’augmenter les revenus. Pourvu donc que le laisser-aller qui a régné dans l'exploitation de ce patrimoine ne se transforme pas en un plan de cession qui finirait par brader le foncier communal.