CFG Bank vient de publier ses résultats au titre du premier trimestre 2020. Il en ressort une progression de 51% de son encours de crédit, conjuguée à une hausse des dépôts de 20% (en glissement annuel). Une performance commerciale en ligne avec les objectifs fixés lors du lancement de la banque voici cinq ans. L’impact du coronavirus, le cumul des pertes dépassant 500 millions de dirhams, la conformité aux règles prudentielles, les recapitalisations successives, le nouvel actionnariat, le projet d’introduction en Bourse, etc. Dans cet entretien, trois DG de CFG Bank, Younes Benjelloun, Souad Benbachir et Driss Benchaffai répondent à nos questions, sans langue de bois.
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Malgré le bon comportement des indicateurs commerciaux, la banque n’arrête pas de cumuler les pertes (environ 500 millions de dirhams à fin décembre 2019). Quand prévoyez-vous de dégager une capacité bénéficiaire?
Lors du lancement de l’activité bancaire, les actionnaires de CFG Bank avaient décidé de développer les activités de banque commerciale, sur la base d’une feuille de route (Business Plan) sur plusieurs années. Elle comportait non seulement les investissements substantiels à consentir, notamment dans le réseau d’agences et en système informatique de dernière génération, mais aussi les pertes inévitables les premières années pour un projet de cette ampleur. Nous avons toujours annoncé que le retour à l’équilibre nécessiterait environ 5 ans, conformément à notre business plan initial. L’atteinte du point mort était prévue pour 2020, mais à cause de la crise du coronavirus, cet objectif pourrait être décalé à 2021. Il convient de préciser que ces pertes se justifient aussi par la politique de provisionnement qui a subi un changement réglementaire fondamental depuis 2018. Toutes les banques doivent provisionner non seulement les créances qui présentent un risque de défaut, mais aussi les créances parfaitement saines (règle comptable dite IFRS9).
Le secteur bancaire s’attend à une aggravation de la sinistralité, en lien avec la crise induite par la pandémie de Covid-19, ce qui va entraîner une diminution de leur rentabilité et peser sur leurs fonds propres. L’impact sera-t-il identique chez CFG Bank?
Malgré un développement rapide de nos encours de crédit, notre portefeuille demeure relativement «jeune» et peut difficilement être comparé à celui des banques établies depuis plusieurs décennies. En particulier les segments de clients de CFG Bank devraient être moins impactés par la récession économique. Actuellement, notre taux de créances en souffrance est de 0,5% contre une moyenne de 8% pour le secteur. Pour répondre précisément à votre question, deux mois après la déclaration de la crise du Covid-19, nous n’avons pas observé, pour le moment, de détérioration significative de la sinistralité. Il faut noter que les mesures d’accompagnement décidées par le gouvernement ont contribué significativement à un soulagement important de la trésorerie des particuliers et surtout des entreprises affectées par cette crise. De nouvelles mesures sont attendues dans les prochains jours pour la relance de l’activité post-confinement.
Quelle est la part de l’immobilier dans les crédits distribués. Qu’est-ce qui a changé dans le traitement des dossiers «immobiliers» depuis le début de l’épidémie et la mise à l’arrêt des chantiers?
Les crédits immobiliers se composent des crédits aux acquéreurs de logements (hypothécaires) et des crédits aux promoteurs immobiliers. S’agissant de CFG Bank, nous avons surtout des crédits aux acquéreurs qui ne présentent pas de problèmes particuliers. Pour ce qui est de nos clients promoteurs immobiliers, nous estimons que le retard des chantiers est rattrapable et que ceci aura une incidence non significative sur les comptes de CFG Bank.
Vous avez opéré fin mars dernier une augmentation de capital de 400 millions de dirhams. C’est la troisième recapitalisation en quatre ans. Faut-il y voir un signe de fragilité du modèle CFG Bank qui peine à atteindre sa vitesse de croisière?
Commençons par rappeler que l’activité bancaire est l’une des plus réglementées et supervisées par tous les pays du monde. Une banque exerce dans un cadre légal et réglementaire très strict et est suivie de très près par ses autorités de tutelle et notamment la Banque centrale (Bank Al Maghrib).
Les banques ont une contrainte réglementaire que n’ont pas les entreprises industrielles ou commerciales: leurs fonds propres (Capital plus Réserves) doivent être égaux à 12% de leur encours de crédit. La croissance des crédits de CFG Bank est tellement rapide depuis son lancement en 2015 que la banque doit régulièrement procéder à des augmentations de capital. L’objet des augmentations de capital n’est pas de financer la croissance des crédits (les dépôts des clients y suffisent largement) mais simplement de respecter le ratio réglementaire de 12%.
Dans le cas de CFG Bank, la progression des crédits est très forte depuis 2015. A titre d’exemple, en 2019, l’encours des crédits a progressé de 62 % pour atteindre 3,9 milliards de dirhams contre 2,6 milliards de dirhams en 2018. Il est donc nécessaire d’augmenter régulièrement le capital tant que cette croissance est aussi forte.
Les trois augmentations de capital que nous avons réalisées avec succès nous ont permis de respecter le ratio Cooke. La dernière opération nous confère de la marge pour les prochaines années.
Au vu du rythme de croissance de l’activité de distribution des crédits, faut-il s’attendre à de nouvelles augmentations du capital? Si oui, ce sera pour quand, la prochaine?
La réponse est oui, mais la prochaine augmentation de capital pourrait être réalisée lors de l’introduction en Bourse de CFG Bank, prévue dans les 4 prochaines années. Encore une fois les augmentations de capital ne servent qu’à respecter le ratio Cooke précité.
Le RCAR a fait son entrée dans le capital en apportant 200 millions de dirhams. Quel a été l’impact sur l’actionnariat?
Avant cette dernière augmentation de capital de 400 millions de dirhams, l’actionnariat de CFG Bank était déjà largement composé d’investisseurs institutionnels nationaux et étrangers. Suite à la prise de participation du RCAR, la part des actionnaires institutionnels a atteint désormais 62% du capital de la Banque. La part détenue par le RCAR représente 9,2%, soit un niveau inférieur à celui du Groupe Finance.com (14,6%) à travers la RMA et Bank of Africa, mais proche de celui de Africinvest (9,9%) ou Amethis du Groupe Rothschild (9,9%).
En dehors du RCAR, qui se cache derrière l’apport de l’autre moitié de la recapitalisation de fin mars?
La moitié de l’augmentation de capital, soit 200 millions de dirhams, a été souscrite par 5 groupes privés marocains opérant dans plusieurs secteurs de l’économie marocaine, souvent à travers des holdings familiales (Family Office).
Les groupes privés marocains (anciens et nouveaux actionnaires) détiennent 16% du capital de la banque. Pour rappel, les fondateurs de CFG Bank (Amyn Alami et Adil Douiri) et l’ensemble des collaborateurs associés sont à 22% du capital.
La reconfiguration du conseil d’administration était-elle inévitable, au point de pousser deux associés historiques, en l’occurrence Souad Benbachir et Younes Benjelloun, à partager un seul siège de façon alternée?
Etant donné l’investissement consenti et la contribution que peut apporter le RCAR à la stratégie de la banque, il est tout à fait normal qu’il siège au Conseil d’administration de CFG Bank. Or, la loi marocaine prévoit 12 administrateurs pour une société anonyme: nous avons donc opté pour cette solution d’alternance. Le plus important à noter est que la direction générale de la banque est maintenue avec l’étendue de toutes ses fonctions exécutives. Le management de la banque est parfaitement solidaire et engagé pour l’atteinte des objectifs et l’exécution de la stratégie fixés par les actionnaires.
Où en êtes-vous aujourd’hui par rapport aux ratios prudentiels?
Les fonds propres sont actuellement à plus de 800 millions de dirhams, ce niveau permet d’accompagner la croissance future des crédits en toute conformité réglementaire. Nos ratios prudentiels sont tous largement supérieurs aux niveaux minimums réglementaires. A titre d’exemple, le ratio de solvabilité (Ratio Cooke) est à 17% alors que le minimum réglementaire est à 12%.
CFG Bank avait annoncé son intention de s’introduire en bourse en 2023. Quels sont les prérequis qui conditionnent l’atteinte de cet objectif? Est-ce que vous maintenez ce cap malgré le contexte de récession qui frappe l’économie et la tendance baissière des indices boursiers qui en découlent?
Notre intention d’introduire en Bourse CFG Bank est intacte. Les impacts du Covid-19 sont encore difficiles à estimer de manière précise à ce stade, mais ne devraient pas modifier de manière significative la feuille de route de la banque qui prévoit une poursuite de la croissance et une introduction en Bourse dans les 4 prochaines années. D’ici là, la tendance boursière que vous évoquez aura largement eu le temps de s’inverser.
Quelles sont vos projections pour la fin de l’année 2020?
Certaines activités ne pourront pas croître en 2020 au rythme que nous avions prévu dans notre business plan initial à cause du Covid-19. Cela étant dit, nous visons une année 2020 globalement comparable ou supérieure à l’année 2019.