Une étape décisive est franchie dans la régulation du marché des cryptoactifs au Maroc. Un avant-projet de loi y afférent est mis en ligne sur le site du Secrétariat général du gouvernement (SGG) pour recevoir les commentaires du public.
Ce texte, présenté par le ministère de l’Économie et des Finances, marque une étape cruciale dans la reconnaissance et l’encadrement de ces actifs numériques au Maroc, répondant aux appels des instances internationales tout en cherchant à saisir les opportunités de cette innovation financière.
Un cadre pour l’innovation et la protection
Face à la croissance rapide et à la diversification des cryptoactifs, les autorités marocaines ont entrepris dès 2022 de définir les contours de leur usage. L’objectif affiché est de construire un cadre «clair et agile» permettant de soutenir le développement de ces technologies tout en protégeant le système financier et les usagers contre les risques associés, tels que le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et la fraude.
La future loi poursuit quatre objectifs principaux. Il s’agit de protéger de manière appropriée les clients et les investisseurs dans cette classe d’actifs, renforcer l’intégrité des marchés contre la fraude, la manipulation, le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme, soutenir l’innovation financière et numérique et préserver la stabilité financière.
Qu’est-ce qui est concerné?
Le texte définit précisément les différents acteurs et activités qui seront soumis à régulation. Il distingue notamment trois catégories d’acteurs. La première est constituée des Établissements prestataires de services sur cryptoactifs (EPSC): ceux-ci pourront offrir une gamme de services allant de la conservation des actifs numériques pour le compte de clients à l’exploitation de plateformes de négociation, en passant par la vente, l’échange, la gestion de portefeuille ou le conseil.
La deuxième catégorie concerne les émetteurs de jetons utilitaires: ce type de cryptoactifs, qui donne uniquement accès à un bien ou un service spécifique, devra obtenir un visa de l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC) via la publication d’un «livre blanc».
Pour la troisième, il s’agit des émetteurs de jetons adossés à des actifs (stablecoins): soumis à un régime plus strict, ces actifs, conçus pour maintenir une valeur stable, ne pourront être émis que par des banques ou des établissements de paiement agréés par Bank Al-Maghrib (BAM).
Une répartition claire des rôles entre BAM et l’AMMC
Le projet de loi établit une répartition précise des compétences entre les deux principales autorités de régulation.
L’AMMC sera chargée de l’agrément, de la supervision et du contrôle des EPSC et des émetteurs de jetons utilitaires. Elle sera également compétente pour l’admission à la négociation des stablecoins sur les plateformes.
Bank Al-Maghrib aura la haute main sur l’agrément, la régulation et la supervision des émetteurs de stablecoins, ainsi que sur leur émission et leur offre au public.
Exclusions notables
Le texte exclut explicitement de son champ d’application plusieurs activités, montrant une volonté de circonscrire le périmètre réglementaire initial. Il s’agit notamment des monnaies numériques des banques centrales, des cryptoactifs non fongibles (NFT), adossés par exemple à des œuvres d’art, des objets de collection, etc.
Il s’agit aussi de l’activité de «minage», qui se réfère au processus par lequel des équipements spécialisés valident et enregistrent des transactions sur une blockchain, et des activités de la finance décentralisée (DeFi).
Agrément obligatoire et conditions strictes
L’exercice des activités liées aux cryptoactifs sera subordonné à un agrément préalable, délivré par l’AMMC ou BAM selon le cas. Les demandeurs devront remplir des conditions rigoureuses, notamment concernant leur organisation, leurs fonds propres, l’honorabilité de leurs dirigeants et la mise en place de dispositifs de contrôle interne et de gestion des risques. L’agrément pourra être retiré en cas de manquement grave.
Lutte contre les abus de marché et les illégalités
Le projet de loi intègre un volet substantiel dédié à la prévention et à l’interdiction des abus de marché. Ainsi, il interdit explicitement les opérations d’initiés qui consistent à utiliser une information privilégiée pour réaliser des transactions.
Il interdit aussi la manipulation de marché, soit toute action visant à fausser artificiellement l’offre, la demande ou le prix d’un cryptoactif, et la divulgation illicite d’informations privilégiées.
Les EPSC et les plateformes de négociation devront mettre en place des systèmes de surveillance pour détecter et signaler toute suspicion d’abus.
Un régime de sanctions dissuasif
Le texte prévoit un régime de sanctions à deux niveaux. Le premier porte sur des sanctions pécuniaires et disciplinaires (avertissements, suspensions, retraits d’agrément) pouvant être prononcées par l’AMMC ou BAM.
Le deuxième concerne des sanctions pénales, incluant des peines d’emprisonnement et des amendes, pour les infractions les plus graves comme les opérations d’initiés, la manipulation de marché ou l’exercice illégal d’activités sans agrément. Les montants des amendes seront fixés ultérieurement.
Période de transition
Une période transitoire de 18 mois est accordée aux acteurs existants pour se mettre en conformité et obtenir les agréments nécessaires.
Ce projet de loi marque une avancée majeure pour l’écosystème financier et numérique marocain. En offrant une sécurité juridique tant attendue, il vise à attirer des acteurs sérieux, à protéger les citoyens et à positionner le Maroc parmi les pays africains précurseurs en matière de régulation des cryptoactifs.
La concrétisation de ce cadre, une fois la loi promulguée, sera suivie avec attention par les investisseurs et les observateurs internationaux.







